Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

mercredi 9 décembre 2015

Le Bois de Merlin
de Robert Holdstock (éditions Mnémos)


Résumé :
Brocéliande… terre de légendes, refuge sylvestre des charmes anciens, tombeau vivant de Merlin trahi par la belle Viviane…
Dans ce lieu chargé d’histoire, il ne viendrait à l’idée d’aucun natif de mettre en doute la magie qui émane de cette forêt millénaire. De génération en génération, les enfants sont les témoins émerveillés du passage des fantômes. Les esprits des morts continuent de déambuler sur les chemins qu’ils empruntaient de leur vivant, et les enfants du pays dansent au milieu de leur silhouette éthérée. Adultes, ils deviennent aveugles aux spectres, mais ils retrouvent dans leurs propres enfants un peu de ce don qu’ils ont perdu.
À la mort de sa mère, Martin revient sur sa terre natale. Contre l’avis de la défunte, il décide de rester dans le domaine familial pour y fonder sa propre famille.
Mais que représentent les désirs d’un homme face à deux volontés de fer plusieurs fois centenaires ?


Critique (attention, spoilers) :
Difficile de conseiller ce livre car son histoire est assez insaisissable… En quelques mots : il plaira ou ne plaira pas.
Le Bois de Merlin est une intrigue empreinte de mythologie celtique qui se situe à la croisée des genres. C’est un roman de fantasy qui confine au roman fantastique et d’épouvante à certains égards.
De nombreux critiques le présentent comme une réécriture arthurienne… cette vision est assez simpliste. Si Le Bois de Merlin évoque bien entendu la légende de Merlin et Viviane, ce n’est pas directement dans la matière arthurienne que Robert Holdstock a puisé son inspiration, mais dans les mythes et légendes préarthuriens, des récits celtiques primitifs qui ont servi de base aux contes des chevaliers de la Table ronde.
C’est peut-être aussi pour cela que Le Bois de Merlin laisse en bouche, après lecture, un arrière-goût qui rend perplexe et insatisfait. On croyait arriver en terrain familier, et on s’est retrouvé à s’enliser dans des références que l’on ne maîtrise pas du tout.
L’intrigue est pourtant originale et le style n’est pas dénué d’onirisme et de féerie. Les personnages sont intéressants et complexes, mais le récit est curieusement contemplatif et on ne parvient pas à s’attacher aux protagonistes. Quant à la narration, elle est plutôt déroutante : classique au milieu, elle se constitue, au début et surtout à la fin du roman, par les récits de certains personnages qui viennent nous éclairer sur la magie qui règne dans cette Brocéliande holdstockienne. Pour certains lecteurs, ces récits alourdiront l’histoire qui deviendra moins vivante et un brin artificielle. Mais, pour ceux qui aiment les romans à tiroirs, Le Bois de Merlin est plutôt adapté.
Reste que Robert Holdstock a été, jusqu’à sa mort en 2009, à 61 ans, un auteur prolifique surtout connu pour ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, La Forêt des Mythagos. Alors peut-être est-ce par ce cycle qu’il vaut mieux s’initier à son art…

vendredi 6 novembre 2015

L’homme est-il prêt à coloniser Mars ?

 

Le mythe du Martien et d’une vie possible sur la planète rouge est ancré dans notre imaginaire collectif. Il a entraîné la production de bon nombre de films, de séries TV et de livres. Si l’homme n’est pas encore prêt, pour le moment, à habiter Mars, il n’a de cesse de s’y préparer.

Alors qu’est sorti le 21 octobre 2015 le film Seul sur Mars, de Ridley Scott, avec Matt Damon incarnant un botaniste obligé d’organiser sa survie sur la planète rouge, on se demande si la science n’est pas en train de rattraper la fiction. Depuis le xixe siècle, les similitudes entre Mars et notre chère Terre font rêver et s’interroger. On savait déjà que la planète rouge était recouverte, il y a plusieurs milliards d’années, d’un océan. Depuis septembre 2015, on sait aussi que la surface de Mars abrite, aujourd’hui encore, de l’eau salée à l’état liquide. Or, l’eau est un élément essentiel à la vie. Bien sûr, de là à en tirer la conclusion qu’il y a de la vie sur Mars, c’est un peu précipiter les choses. Mais cette découverte a relancé l’espoir, tenace, qu’un jour l’homme marche sur Mars comme il a marché sur la Lune.

Cet espoir, la Nasa ne se contente pas de le caresser rêveusement. Elle le porte à bout de bras, bien décidée à le transformer en réalité. C’est ainsi qu’elle a envoyé, en novembre 2013, la sonde spatiale Maven (acronyme de « Mars Atmosphere and Volatile Evolution ») dans l’espace en direction (au cas où vous ne l’auriez pas encore deviné) de Mars. Son but ? Recueillir des informations précieuses sur la haute atmosphère de la planète rouge, qui a presque totalement disparu aujourd’hui.

En septembre 2014, Maven s’insérait en orbite de Mars. Hier (le 5 novembre 2015), la Nasa a annoncé lors d’une conférence de presse comment la planète, qui semblait autrefois plus tempérée, aurait peu à peu perdu son atmosphère pour devenir froide et aride, passant probablement d’une couleur bleue, similaire à celle de la Terre vue de l’espace, à rouge, couleur qui lui a valu son surnom.

Les principaux suspects sont les vents solaires qui la frappent sans relâche. Mars, qui n’est plus protégée, comme la Terre, par son champ magnétique qu’elle a perdu il y a environ quatre milliards d’années, voit sa haute atmosphère bombardée de particules chargées électriquement. Ces dernières accélèrent l’érosion de l’atmosphère de Mars et seraient en grande partie responsables du changement radical de climat que la planète rouge a connu il y a plusieurs milliards d’années, au moment où les tempêtes solaires étaient encore plus violentes et fréquentes.


Alors, à quand une terraformation de Mars (entendez par là une transformation de son environnement naturel pour la rendre habitable) ? L’opération relève encore aujourd’hui de la science-fiction. Si d’après les scientifiques Mars réunissait, au début de son cycle, les conditions requises pour y abriter la vie, ce n’est a priori plus le cas aujourd’hui. Mais la découverte d’eau liquide le mois dernier couplée au fait qu’il reste, sur Mars, quelques vestiges de son champ magnétique, inciteront probablement écrivains et cinéastes à continuer de spéculer sur la colonisation de la planète rouge. Et, qui sait ? Peut-être la science (ou la Nasa !) leur donnera-t-elle un jour raison…


Note :
Pour en savoir plus sur l’annonce de la Nasa du 5 septembre 2015, rendez-vous directement sur son site : https://www.nasa.gov/

jeudi 15 octobre 2015

Danny Elfman’s Music from the Films of Tim Burton 
Le Grand Rex – Paris

Présentation :
Beetlejuice, Mars Attacks!, Les Noces funèbres, Edward aux mains d’argent, L’Étrange Noël de Monsieur Jack… tout le monde connaît ces films de Tim Burton, qui sont devenus de grands classiques. Mais que seraient ces longs-métrages sans l’inoubliable musique du compositeur fétiche de Burton, Danny Elfman ?


Critique (attention, spoilers) :
À la question « Trick or Treat? », ce concert est la réponse que nous n’aurions osé espérer.
À l’occasion des 30 ans du cinéma de Tim Burton, la société Overlook Events s’est associée à l’orchestre et au chœur Lamoureux, dirigés par John Mauceri, pour nous offrir, à trois semaines d’Halloween, un concert des meilleures musiques des films du réalisateur nés de sa fructueuse collaboration avec Danny Elfman.
Le concert dure environ trois heures pendant lesquelles vous n’avez pas le temps de vous ennuyer ! L’orchestre et le chœur sont surplombés d’un écran géant où défilent alternativement croquis et dessins préparatoires du grand Tim, extraits de ses films, et bien sûr retransmission en direct des principaux acteurs sur la scène : chef d’orchestre, solos,… À la moitié de chaque morceau, des pauses sont quand même générées à l’écran pour vous laisser embrasser de vos propres yeux l’ensemble des musiciens et choristes.
Au cours de la seconde partie, une jeune violoniste virtuose, Sandy Cameron, réalise une prouesse musicale qui ravit les mélomanes (et fait grincer des dents les spectateurs n’appréciant pas les sanglots aigus et déchirants du violon… personne n’est parfait !).
Mais le clou du spectacle reste la présence charismatique de Danny Elfman, qui prêtait déjà sa voix au personnage de Jack dans le film L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Le compositeur interprète, pour le final, avec beaucoup de prestance et d’humour, quelques chansons choisies, et il nous offre un grand moment de complicité avec le chef d’orchestre, John Mauceri.
Soulignons enfin que Le Grand Rex, avec son décor de théâtre et sa voûte étoilée, est le cadre idéal pour cette plongée dans l’horreur fascinante et fantaisiste du tandem Burton-Elfman.
Épouvantablement magique… ou magiquement épouvantable… à vous de choisir la conclusion !

Programme :
Charlie et la chocolaterie
Pee-Wee’s Big Adventure
Beetlejuice
Sleepy Hollow
Mars Attacks!
Big Fish
Batman / Batman : Le Défi
Entracte
La Planète des singes
Les Noces funèbres
Dark Shadows
Frankenweenie
Edward aux mains d’argent
L’Étrange Noël de Monsieur Jack
Alice au pays des merveilles


Informations techniques :
Dates :
Samedi 10 octobre 2015 : 17 h – 21 h 30
Dimanche 11 octobre 2015 : 17 h
Lundi 12 octobre 2015 : 20 h
Lieu :
Le Grand Rex, Paris
Tarif plein :
Entre 40 € et 219 €
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site internet d’Overlook Events :              

Note :
Le seul bémol de ce concert (il en faut bien un !) est le peu de dates prévu à Paris (quatre concerts en tout et pour tout dispensés sur trois jours consécutifs).
Mais, si vous l’avez manqué et que vous êtes aussi un fan des films de Steven Spielberg, vous pourrez vous consoler avec le concert des musiques des films du réalisateur composées par John Williams, qui aura lieu en avril 2016.

vendredi 2 octobre 2015

Julia 
de Peter Straub (éditions Bragelonne)


Résumé :
Un an après avoir perdu sa fille dans un tragique accident, Julia quitte son mari, un avocat charismatique et tyrannique. Sur une impulsion, elle achète une maison ancienne où elle pense pouvoir panser ses plaies et retrouver sa sérénité perdue. Mais, très vite, l’atmosphère de la maison devient oppressante. Julia entend des bruits insolites. Elle éteint sans cesse les radiateurs qui semblent se mettre en marche tout seuls. Et elle fait la rencontre d’une drôle de petite fille qui ressemble étrangement à Kate, son enfant disparue.
Et si son nouveau refuge n’en était pas un ?
Après tout, peut-être que Julia n’a pas atterri ici par hasard…


Critique (attention, spoilers) :
Classique au premier abord, cette histoire de fantômes, publiée pour la première fois en 1975 aux États-Unis, s’avère très vite complexe et particulièrement prenante.
Le personnage principal, Julia, est tellement effacé, naïf et distrait qu’il semble bien trop fade, au départ, pour éveiller l’intérêt du lecteur. Et pourtant… Il se concentre peu à peu autour de Julia tant de phénomènes étranges, comme si elle agissait en catalyseur, et elle y semble si réceptive que l’on comprend rapidement qu’elle n’est pas un personnage ordinaire. Elle n’apparaît alors plus si insipide… et vous vous surprenez à suivre son incroyable histoire les nerfs à vif et les dents serrées !
Toutes les ficelles de la ghost story, élaborées de main de maître par les Anglo-Saxons, sont là : maison qui semble hantée par un esprit maléfique, médium terrifiée à la perception d’ondes émanant de ladite maison, sensations angoissantes d’une présence invisible, appareils ménagers qui se mettent en route tout seuls, objets qui disparaissent ou qui tombent avec fracas dans le noir, apparitions entraperçues du coin de l’œil dans les miroirs, meurtres violents dont l’assassin reste anonyme et insaisissable… Tous ces phénomènes en apparence paranormale ne le sont pas forcément, l’intrigue apportant une explication rationnelle à certains. Quant aux autres…
À la manière de Henry James dans son Tour d’écrou, dont on ressent l’influence (parmi de nombreuses sources d’inspiration) sur Peter Straub, ce dernier a préféré la tension psychologique croissante aux images gore (quoique quelques scènes soient assez démonstratives, comme l’instant où la petite fille blonde décapite un oiseau en le coinçant dans les roues d’un vélo qu’elle fait rouler au sol) ou exhibant trop clairement un événement surnaturel estampillé comme tel. Le thème de la démence est d’ailleurs omniprésent. Tous les personnages comportent leur lot de folie et d’ambiguïté, à commencer par Julia elle-même.
Rapidement, on comprend que la jeune femme, riche d’une fortune léguée par sa lignée paternelle, en grande partie acquise de façon brutale et sanglante, est une proie pour son mari, pour sa belle-sœur qui prétend la protéger alors qu’elle n’a d’autres intérêts que ceux de son frère, Magnus, l’époux de Julia, ou encore pour Marc, le beau-frère au « visage de loup déguisé en agneau » (p. 164). Tous en veulent à sa fortune, et Julia le comprend à un certain niveau de conscience. Aucun moyen pour s’octroyer une part de son gâteau ne les rebute, pas même celui de faire passer la belle nantie pour mentalement instable.
Néanmoins, tous, à un moment ou à un autre, ont la sensation que la maison de Julia est bien hantée par un esprit vengeur. Mais tous, encore, semblent plonger dans une obsession malsaine confinant à la folie, qui les fait douter de la fiabilité de leurs sens. Julia ne fait pas exception, elle qui, traumatisée par la mort de sa fille et broyée par un sentiment de culpabilité insurmontable, présente un comportement de plus en plus névrotique et se demande même à plusieurs reprises, du moins pendant un temps, si elle n’a pas accompli elle-même ce qu’elle prend pour les exactions du fantôme.
Car, dans la lignée du roman gothique, Julia a pour thème principal le poids du passé et des souvenirs qui ne se laissent pas oublier, venant à dévorer le présent. Le passé de Julia est marqué par la trachéotomie manquée qu’elle a effectuée sur sa fille, Kate, alors que cette dernière était en train de s’étouffer avec un morceau de viande. Cette tragédie n’a pas fini de torturer Julia et son présent en porte encore les stigmates. Mais, surtout, cet accident entre en résonance avec un autre drame, plus ancien, qui a entaché à jamais la maison achetée par la jeune femme. Et c’est de ces deux événements issus du passé que va naître l’horreur, une horreur chaotique difficile à circonscrire au surnaturel ou au contraire à la simple théorie de la folie autodestructrice de l’héroïne.
Selon certains critiques dont le King de l’épouvante lui-même (Stephen de son petit nom), Julia, bien que ce roman soit diablement efficace, n’était qu’un coup d’essai pour Peter Straub, qui a signé son chef-d’œuvre en la qualité de Ghost Story, publié quatre ans plus tard aux États-Unis, en 1979.
Alors, si vous avez déjà lu Julia, rassurez-vous : vous n’avez pas fini de trembler…

mercredi 26 août 2015

Shining 
film réalisé par Stanley Kubrick et minisérie réalisée par Mick Garris,
d’après le roman de Stephen King

Résumé :
L’hiver arrive. Comme tous les ans, l’Overlook va fermer ses portes : durant la morte saison, le prestigieux hôtel est assiégé par la neige qui bloque les routes et l’isole totalement. Alors que le personnel déserte le bâtiment, Jack Torrance, qui vient de quitter sa charge de professeur, s’y voit proposer le poste de gardien. C’est l’emploi idéal pour cet écrivain en panne d’inspiration qui recherche un environnement calme et des horaires adaptables afin de se consacrer à l’écriture.
Jack, sa femme, Wendy, et leur jeune fils, Danny, s’installent dans l’Overlook dont ils seront les seuls résidents jusqu’au printemps. Mais le cadre idyllique ne tarde pas à devenir inquiétant. Car, depuis sa construction, le luxueux hôtel est le théâtre d’événements tragiques et violents qui ne cessent de le façonner.
Très vite, Danny ressent les présences qui emplissent l’Overlook. Pire. Jack les ressent aussi. Il les voit. Elles lui murmurent à l’oreille. Et il les écoute.
Avec toujours plus d’attention.

Critique (attention, spoilers) :
C’est à partir de ce matériau de départ que Stanley Kubrick et Mick Garris ont chacun modelé leur adaptation, leur donnant une forme très différente l’une de l’autre.
Mais, avant d’aller plus loin, revenons sur la genèse de ces deux projets.
Shining est avant tout un roman de Stephen King publié en 1977 aux États-Unis et en 1979 en France.
En 1980, le film de Stanley Kubrick sort à l’écran. Bien que Stephen King reconnaisse apprécier ce long-métrage en tant que tel, l’écrivain est furieux contre le réalisateur qui a coécrit le scénario avec l’aide d’une autre romancière, Diane Johnson, dans un esprit très différent de celui de son livre. L’auteur n’a alors de cesse de critiquer la version de Kubrick jusqu’à ce que celui-ci lui accorde l’autorisation (eh oui, le droit d’auteur peut être retors, parfois !) de superviser sa propre mouture. C’est ainsi que sort, en 1997 aux États-Unis, la minisérie Shining.
Certes, la réaction de Stephen King peut sembler trop véhémente, mais il faut bien avouer que le film de Kubrick prend de très grandes libertés avec le roman dont il s’est inspiré, rendant l’histoire et les personnages quasi méconnaissables. On peut comprendre que l’ego de l’écrivain ait pu s’en trouver froissé…

L’atout principal de la série est sans conteste qu’elle respecte à la lettre l’histoire du livre (un excellent roman, précisons-le pour ceux qui ne l’ont pas encore lu) et les différentes scènes qui le composent. Surtout, on y retrouve les personnages tels qu’imaginés par Stephen King, dans toute leur complexité et leur richesse psychologique. Wendy est en effet loin d’être aussi passive et effacée que dans le film : elle atterrit à l’Overlook pour donner une seconde chance à son époux, et non par soumission comme dans la version de Kubrick. Cette différence de comportement se sent tout au long de la série, et aboutit à de profonds changements par rapport au film.
Mais le personnage qui oppose radicalement le film et la série est bien sûr Jack, que Kubrick a totalement remanié. Dans son adaptation, le personnage de Jack (joué par son homonyme Nicholson) est un véritable psychopathe, et ce dès les premières minutes de film : sa folie tyrannique se décèle déjà dans ses traits figés (ses sourcils en circonflexe, notamment), ses mimiques et ses rictus qui expriment une violence latente et mal dissimulée.
Tandis que la série, en adaptation fidèle du roman, dessine un portrait psychologique de Jack moins flamboyant mais d’une certaine façon plus réaliste. Jack (joué par Steven Weber) est un homme à la dérive, mari et père de famille aimant en proie à l’alcoolisme qu’il combat avec acharnement. Cet alcoolisme, c’est le talon d’Achille dans lequel Pâris plante sa flèche, c’est le levier que les fantômes de l’Overlook utilisent pour pousser Jack à attaquer sa famille. Là où Jack/Nicholson résiste peu, voire pas du tout, Jack/Weber lutte de toutes ses forces, par amour pour sa famille, contre l’influence néfaste de l’hôtel, amenant le spectateur à s’impliquer émotionnellement dans ce personnage. Ainsi, la série porte le même message édifiant sur l’alcoolisme que le roman, message fortement édulcoré dans l’œuvre de Kubrick.
Malgré certains effets spéciaux qui piquent un peu les yeux (comme les sculptures de buis qui prennent vie) et un emploi parfois assez classique des codes des ghost stories, la série nous emporte avec succès dans la descente aux enfers de la famille Torrance. La production réalisée par Mick Garris et chapeautée par Stephen King est une histoire d’horreur efficace qui comprend quelques scènes tout simplement terrifiantes. Néanmoins, sa filiation au roman est trop clairement affichée pour apporter un éclairage nouveau sur l’œuvre de l’écrivain.

Le film de Stanley Kubrick présente quant à lui, au premier abord, un scénario moins complexe. Mais c’est sa mise en scène, portée par le sens du détail et de la symbolique du réalisateur, qui en fait tout le charme. Là où la série est très explicative, le long-métrage suggère plutôt diverses grilles de lecture sans affirmer quoi que ce soit (un parti pris récurrent chez Kubrick, comme en atteste 2001 : l’odyssée de l’espace).
Dans cette version, le personnage de Jack est volontairement déshumanisé pour se rapprocher du minotaure de la mythologie grecque. Nicholson affecte à la perfection la brutalité de cet être mi-homme mi-taureau par son jeu alternant postures farouches et charges furieuses. L’analogie est bien sûr renforcée par le labyrinthe de buis (dont on trouve une reproduction miniature dans l’hôtel, pour en souligner l’effet) et par le dédale de pièces et de couloirs que forme l’Overlook lui-même.
Cette symbolique du labyrinthe est totalement absente du roman et fait partie des éléments inventés par Kubrick. Ce dernier a, par ce détail et bien d’autres, créé une adaptation surprenante et totalement personnelle du roman. Il s’est d’ailleurs si bien approprié l’œuvre d’origine que son créateur, Stephen King, ne l’a pas reconnue.
Mais, après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller le débat… et d’être revue et remaniée pour acquérir un jour, peut-être, le statut de mythe.
Un statut qui finit toujours par dépasser son ancre d’origine.

Vous l’aurez compris, le film et la série sont deux adaptations très dissemblables. Faut-il pour autant choisir l’un plutôt que l’autre ? Est-ce vraiment trahir Stephen King que d’apprécier le long-métrage ? Est-ce nier le statut de chef-d’œuvre qu’a acquis le film de Kubrick que de louer les qualités de la série ? Ou ne serait-il pas dommage de choisir un camp, quand chacune de ces deux adaptations a ses qualités propres ?


Note :
Si vous souhaitez découvrir d’autres pistes de lecture du film de Kubrick, je ne saurais trop vous conseiller de visionner Room 237. Ce documentaire non officiel réalisé par Rodney Ascher, et sorti en 2012 aux États-Unis, propose diverses interprétations du long-métrage. Certaines des théories qui y sont présentées paraissent tirées par les cheveux, et d’autres plutôt dignes d’intérêt, bien qu’elles n’aient jamais été validées par le réalisateur. À chacun de juger. Après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller le débat…