Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

dimanche 23 novembre 2014

Le Tour d’écrou
de Henry James (éditions Flammarion)

Résumé :
Par une sombre soirée d’hiver, quelques gentilshommes se rassemblent pour partager des histoires étranges et sinistres. L’un d’eux, Douglas, évoque, plusieurs décennies après les faits, la terrifiante aventure qu’a vécue dans sa jeunesse une institutrice. Devant ce petit cercle intime, il lit le récit écrit de la main même de l’enseignante qui, à l’âge de 20 ans, fut engagée pour instruire, dans une jolie demeure de campagne, deux enfants, frère et sœur, aussi brillants qu’adorables. Mais dans ce cadre idyllique étaient terrés de terribles secrets qui ont à jamais changé la vie de la préceptrice.
Si une aventure morbide survient à un enfant plutôt qu’à un adulte, cela donne un tour de vis au frisson. Mais si une aventure morbide survient à deux enfants plutôt qu’à un adulte, cela ne donnerait-il pas un tour supplémentaire ?


Critique (attention, spoilers) :
Chaudement recommandé par Stephen King qui loue « son style élégant et posé, sa logique psychologique irréprochable (1) », Le Tour d’écrou est une ghost story oppressante qui s’écarte des récits du genre par son écriture intimiste et le développement psychologique du personnage principal. Mais c’est aussi un huis clos au charme suranné qui démarre très lentement et dont le style, formé de phrases longues et parfois alambiquées, est assez ardu pour le lecteur moderne, qui n’est plus vraiment habitué à ces tournures d’un ancien temps.
Le Tour d’écrou se construit autour d’une montée en pression progressive, rythmée par des apparitions spectrales, les anciens instructeurs des enfants, qui poussent la narratrice (qui est apparemment seule à les voir) à s’interroger et à exhumer les secrets de la maisonnée avec l’aide craintive d’une intendante, Mrs Grose.
Fans de gore, passez votre chemin. Dans cette nouvelle publiée pour la première fois en 1898, aucune scène n’est visuellement insoutenable, grossière ou vulgaire. Le mal qui rôde dans la vieille bâtisse n’est jamais clairement défini et reste à la lisière de la perception. À tel point que l’on se demande si les fantômes décrits par la narratrice sont bien réels, ou s’ils ne sont que le fruit de son imagination morbide et romanesque.
D’ailleurs, que font-ils exactement, ces fantômes ? Pas grand-chose en réalité. Ils ne font qu’être là et observer. Mais le poids de leur regard exacerbe le trouble de la narratrice jusqu’à l’hystérie. La préceptrice se met alors elle-même à examiner la maisonnée, le parc, la tour, à scruter les deux enfants dont elle a la charge pour déterminer s’ils voient aussi, comme elle le pense, les deux âmes corruptrices, ce qu’elle cherche à leur faire avouer avec une insistance obsessionnelle sans jamais mettre un mot sur ses pires craintes. Ainsi, les mystères et les non-dits, les ellipses et les sous-entendus, les craintes associées à la certitude que quelque chose d’horrible se passe dans cette demeure, provoquent une atmosphère étouffante et aggravent la situation. Pour les personnages, mais aussi pour le lecteur qui se trouve pris dans l’engrenage et qui voit l’écrou se resserrer pendant que ses méninges tournent à plein régime.
Le récit étant raconté par l’institutrice elle-même qui ne met jamais en doute la réalité des apparitions, il est difficile de se détacher de son explication surnaturelle. Pourtant, les interprétations sont plurielles. De nombreuses analyses ont été avancées. Pour les critiques qui penchent du côté de la folie, la mort finale du petit garçon est assez énigmatique : est-ce la peur qui tue Miles ? est-ce la pression physique de l’enseignante qui, pour cacher les fantômes à sa vue, le serre convulsivement contre elle à l’étouffer littéralement ? ou bien encore, s’agit-il d’une mort métaphorique – entendons par là que l’« étreinte » évoquée par la narratrice cache en réalité un enlacement charnel ? Ainsi, l’instructrice aurait dépucelé l’enfant, dont la mort ne serait qu’une petite mort, et sa folie hallucinatoire ne serait due qu’au refoulement de son désir pédophile… Cependant, si ses deux protégés n’ont pas été corrompus par leurs précédents instructeurs, comme l’affirme la narratrice, comment expliquer le comportement ambigu des enfants ? Pour quelle raison le garçon s’est-il fait renvoyer du collège ? Pourquoi vole-t-il une lettre ? Pourquoi s’aventure-t-il dehors, en pleine nuit, à l’insu de sa préceptrice ? De nombreuses questions restent en suspens à la fin du récit auxquelles on peut apporter des réponses plus nombreuses encore.
Mais pourquoi une telle controverse agite les critiques ? Parce que James a laissé des blancs dans son œuvre et confie au lecteur le soin de les remplir selon ses propres peurs, ses propres fantasmes.
La frustration est donc grande de ne pouvoir découvrir une seule et même réponse. Une réponse en bloc salvatrice pour le lecteur, nécessaire au repos de son esprit. Mais n’est-ce pas là ce qu’on attend des meilleures histoires d’horreur : qu’elles nous laissent un frisson indéfinissable même après avoir tourné la dernière page et posé le livre sur la table ?

Note :
Le Tour d’écrou de Henry James a connu de nombreuses adaptations télévisées et cinématographiques. Pour prolonger votre lecture, vous pouvez également écouter la version radiophonique créée par Jean Pavans adaptée de sa propre traduction, disponible sur le site internet de France culture : http://www.franceculture.fr/emission-fictions-droles-de-drames-le-tour-d-ecrou-2014-06-07.
Version abrégée de la nouvelle de Henry James, elle lui reste très fidèle. Néanmoins, elle semble favoriser l’interprétation de la folie hallucinatoire du fait que l’auditeur, au lieu de lire les dialogues rapportés par la narratrice, entend directement parler la préceptrice dont le ton trahit son hystérie grandissante. Ainsi, l’auditeur gagne une certaine objectivité puisqu’il détient un regard plus extérieur. Il n’est plus prisonnier des mots choisis par la narratrice, trop impliquée : il peut aussi se laisser guider par sa propre perception.

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(1) Stephen King, Anatomie de l’horreur – 1, Paris, J’ai lu, 2008, p. 86-87.
John Wick 
film réalisé par David Leitch et Chad Stahelski

Résumé :
John Wick vient de perdre sa femme des suites d’un cancer. Alors qu’il se morfond chez lui, un livreur lui remet un chiot, Daisy, accompagné d’un message. Il s’agit des dernières dispositions prises par son épouse avant de mourir, pour ne pas le laisser seul avec son chagrin. Une lueur d’espoir au bout du tunnel sombre creusé par la maladie.
Malheureusement, deux nuits plus tard, le fils d’un ponte de la mafia locale, Iosef Tarasov, le passe à tabac, lui vole sa voiture (une Mustang 69), et tue son chien. John Wick décide alors de reprendre du service. Et les bas-fonds de la ville s’agitent, se préparant au pire. Car John Wick, que l’on surnommait « Baba Yaga » avant sa retraite anticipée, était le tueur à gages le plus redouté de sa catégorie…


Critique (attention, spoilers) :
En dépit d’une trame assez peu originale (un redoutable tueur raccroche pour une femme et se venge impitoyablement après sa mort), David Leitch et Chad Stahelski signent ici un film d’action survitaminé qui fait du bien au moral et exploite avec humour les codes du genre. La bande-son enlevée soutient d’ailleurs efficacement le ton ironique du film (je pense notamment au bruit amplifié des pas de John Wick lorsque celui-ci apparaît en contre-plongée dans les escaliers, clin d’œil aux films d’horreur – Attention les enfants, Baba Yaga arrive…).
Certes, la première réalisation des deux anciens cascadeurs n’échappe pas au stéréotype du héros tout-puissant et, comme souvent dans ce genre de films, on ne comprend pas bien : 1) pourquoi il ne se défend pas davantage lorsque Iosef Tarasov et ses sbires l’attaquent chez lui et maltraitent son chiot ; et 2) pourquoi les méchants ne tuent pas rapidement John Wick quand ils en ont l’occasion (pour ne citer qu’un exemple, lorsque notre justicier impitoyable est fait prisonnier par le père de Iosef et que ce dernier discute tranquillement avec lui au lieu de lui tirer une balle en pleine tête…). Bien sûr, on peut alléguer, pour le petit 1), que John Wick est trop surpris, lui qui n’a pas fait couler le sang après quatre ans d’abstinence due à son mariage, et, pour le petit 2), que les méchants ont trop de respect pour le légendaire John Wick – qui force leur admiration – pour le tuer quand la situation le rend vulnérable. Mais ces justifications ne satisferont que les fans purs et durs, je le crains.
Nonobstant, porté par un manichéisme parfaitement assumé, John Wick est tout simplement jouissif. À la fin du film, justice est faite ! D’ailleurs, les méchants sont de tels salopards que vous adorerez les détester. Quant à Keanu Reeves, il est fidèle à lui-même dans ce rôle de vengeur sauvage et désabusé.
Autre point intéressant : loin des scènes spectaculaires de Matrix devenues un peu trop présentes aujourd’hui dans les films d’action, le long-métrage de David Leitch et Chad Stahelski marque le retour d’un style de combat épuré, plus réaliste, où chaque coup est mortel et la survie dans l’économie. Exit, donc, les combats au corps-à-corps qui durent des heures. Et, quand les adversaires s’empoignent à bras-le-corps, ils ne s’envoient pas voler à dix mètres du sol. Les lois de la gravité sont respectées et on y croit d’autant plus.
Enfin, les cœurs tendres ne seront pas insensibles à la symbolique du chiot. Car, si l’étincelle d’espoir s’éteint dans l’introduction avec la mort de la frêle Daisy, elle se rallume dans la dernière scène avec l’adoption d’un nouveau chiot, né pour devenir un molosse, celui-là. Ainsi, John Wick rend hommage à sa femme tout en se réconciliant avec sa nature sauvage qu’il avait abandonnée aux côtés de sa douce épouse, s’ouvrant à une troisième existence, sans doute plus en adéquation avec son véritable tempérament.
C’est sûr, John Wick ne révolutionne pas le genre. Mais il fait très plaisir à voir après une dure journée de boulot où vous avez l’impression que la Terre entière vous en veut : John Wick se défoule et vous avec !
Alors, que demander de plus ?