Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

lundi 6 juin 2016

Laissons la parole à…


Sébastien Péguin, alias John Ethan Py


(écrivain)


Comment te définirais-tu en trois dates clés ?
En 1990 (je crois), milieu d’année, j’ai aux alentours de 13 ans et je suis en 4e. Je ne suis pas un grand lecteur, voire pas lecteur du tout. La lecture m’ennuie vite, alors je ne lis que des BD. Pourtant, en furetant du côté des romans fantastiques dans ma bibliothèque municipale, je tombe sur Simetierre de Stephen King, dont la couverture m’attire. La 4e de couverture me convainc d’emporter le livre et de me plonger dedans. Là, c’est un choc existentiel. Une révélation. La dernière page tournée, un impératif clignote dans ma tête : devenir romancier, écrire des bouquins comme celui-là. Je suis donc passé de « zéro livre lu » à « je veux devenir romancier », et tout d’un coup je me suis donné comme ambition de rattraper des années de retard de lecture. C’est à cette même période que j’ai commencé à écrire des nouvelles.
Aux environs de 2004, je rédige mon premier roman « officiel ». C’est-à-dire une histoire structurée, longue de 400 pages, et un projet abouti à 100 %. J’ai fait d’autres tentatives avant, mais là je pousse l’expérience jusqu’à le faire imprimer, et à créer la couverture moi-même. J’ai déjà achevé deux romans, mais rien de vraiment publiable. Celui-là je l’ai écrit alors que je lisais Harry Potter et l’Ordre du phénix. J’ai lâché ce tome à la moitié et je me suis dit : « Il faut que je fasse quelque chose. » L’histoire de J. K. Rowling n’avait plus de sens pour moi. Que les fans me pardonnent, mais je trouvais le texte trop long et répétitif, trop axé sur la frustration. Cela m’a fait décrocher, car je ne voyais pas où voulait en venir l’auteure. J’ai donc écrit ma propre version d’Harry Potter. Une sorte de huitième tome. Son titre : Harry Potter et le sortilège de D. Fairy.
Enfin, en 2008, je découvre Le Roi des aulnes de Michel Tournier, tandis que j’écris Le Songe d’Adam, mon premier roman publié aux éditions HSN. Ce classique me montre que l’on peut faire une histoire fantastique en même temps que philosophique, et il a une influence très forte sur mon texte.

Es-tu auteur à plein temps ?
Si la question implique que je n’aie aucune autre activité (plus lucrative, par exemple) en plus de mon métier de romancier, la réponse est « non ». Mais si la question consiste à demander si j’écris tout le temps, alors la réponse est « oui ». Pour l’instant, l’écriture ne me permet pas de m’assurer une vie matériellement confortable. Si, enfin, « à plein temps » doit impliquer que j’écrive toute la journée, la réponse est encore « non ». Je suis auteur à plein temps quand je décide de me consacrer à cette activité, de même que je suis enseignant à plein temps quand je suis au collège.

Pratiques-tu d’autres activités artistiques qui te permettent de t’exprimer ?
Oui. J’ai fait des études d’art et je continue de peindre. Je pratique aussi la guitare et le chant. Il m’arrive enfin de réaliser de courts métrages, à partir d’images (photos, morceaux de films…). Je lie souvent le tout avec une histoire que j’invente, un texte donc, que j’enregistre ou que je place en surimpression sur les images. Enfin, parfois, j’ajoute au métrage une bande sonore.

On n’écrit pas un roman comme on peint un tableau… Quelles sont les différences d’expression que tu éprouves en fonction des différents médias que tu utilises ? Y a-t-il des choses que tu peux dire dans un roman ou un court-métrage que tu ne peux pas exprimer par la peinture ou vice versa ?
Il faut adapter sa manière de penser, voire de ressentir, au média. En peinture, je vais me concentrer sur les harmonies colorées, les jeux de rythme d’images. Faire un travail sur la perspective, le « près » et le « loin », et évoquer des thèmes via des associations d’images ou de mots, selon ce que je représente. Je dirais donc que ma pensée s’adapte à ce que je peins, et c’est mon œil qui va tout régler. Pour ce qui est de la vidéo, mon approche va dépendre d’une trame narrative, mais il y aura tout un aspect spécifique entre le son et l’image qui permettra de produire des effets précis, de susciter des émotions, du rire… J’aime surtout travailler sur l’aspect émotionnel quand je peins ou réalise une vidéo. Pareil en musique.
L’écrit quant à lui répond davantage à une part de l’esprit rationnelle, conceptuelle, car un texte naît d’images mentales et en crée à son tour. De fait, certaines idées exigent d’être exprimées dans le temps, et parfois à haute voix pour que les mots libèrent tout leur impact. L’écrit, art du temps, permet aussi de créer une évolution bien plus subtile, car longue de 300 pages et non plus de 10 minutes de vidéo ou de musique. Certains effets visuels et sonores sont en revanche quasi impossibles à rendre dans un texte. C’est pourtant l’une des questions que je me pose souvent, « comment je peux rendre tel effet purement visuel ou sonore de manière textuelle », et à laquelle je tente de répondre lorsque j’écris.

Que retrouves-tu dans l’écriture que tu ne trouves pas dans les autres médias ?
La capacité de raconter une histoire forte, dans laquelle on peut s’immerger et plus facilement créer des liens entre différentes mythologies ou idées. Le fracas de certains mots, aussi, va susciter des images mentales quasi impossibles à reproduire par l’image. La plupart des romans ont aussi cela de spécifique qu’ils mettent en scène des êtres humains. Donc on s’y projette toujours un peu, soi, en tant que personne. Il est difficile de rendre un texte (un roman, en tout cas) aussi abstrait qu’une peinture...

Comment trouves-tu le temps d’écrire, avec toutes ces activités créatives ?
Je ne le trouve pas, je me le crée. J’ai une conception du temps et de l’organisation qui me permet de faire tout ce que je souhaite, si je décide de le faire. Je ne dis presque jamais que je n’ai pas eu le temps. Le temps, je l’ai. C’est juste que je ne l’ai pas pris, et que je l’ai utilisé pour faire autre chose qui me paraissait plus important. J’aurais beaucoup de choses à partager sur ce sujet et sur l’art de gérer son temps, de se le créer. Mais, là, la conversation deviendrait très sérieuse... 

Comment l’idée de ChessTomb t’est-elle venue ?
Elle m’est venue des intuitions et de l’envie de créer à partir d’œuvres littéraires et cinématographiques qui ont laissé leur empreinte sur moi. Alors que j’étais ado, vers 13 ans, j’ai vu le film Re-Animator de Stuart Gordon en cachette de ma mère, qui n’aimait pas ce genre de films. On s’est fait le visionnage chez un pote, une après-midi... Ça marque. C’était un de mes premiers films d’horreur. Un choc. L’histoire qui m’unit à Re-Animator est très personnelle. Alors que j’étais à la campagne avec un ami dont le frère, plus âgé, l’avait vu, il m’a été raconté en entier. Rien que le récit du film m’avait marqué. Puis je l’ai vu quelques années après. Le thème de la résurrection m’a toujours fasciné. J’ai fait mon mémoire d’Esthétique sur cette problématique. La question que je me suis posée était : « Quel lien il pourrait y avoir entre Lovecraft, Re-Animator, et Descartes ? » Apparemment, aucun. Et pourtant... Le lien existe. Je le développe dans ChessTomb. Pour bâtir le reste du roman, je me suis inspiré d’autres thèmes, j’ai eu d’autres intuitions qui se sont rattachées à ce mystérieux lien. J’ai également été poussé par l’envie de parler de la création littéraire. Enfin, la lecture de Drood, de Dan Simmons, m’a orienté vers la forme actuelle de ChessTomb, vers cette patine que j’ai cherché à donner aux témoignages de mes personnages vivant dans les années 20.

ChessTomb est un hommage vibrant à H. P. Lovecraft. J’ai également cru reconnaître, dans la violence et la crudité de certains passages, l’influence de Graham Masterton que tu cites d’ailleurs dans tes références. Quels sont d’après toi les écrivains qui t’ont inspiré dans l’écriture de ce roman ?
Tu as vu juste. Graham Masterton est l’un de ceux qui m’ont le plus inspiré pour les parties horrifiques. Et, comme je le disais juste avant, Drood de Dan Simmons m’a beaucoup marqué. Curieusement aussi, De sang-froid de Truman Capote, dont j’ai apprécié, au début, la manière très distanciée de décrire un fait divers réel. Mon éditeur m’a également suggéré de lire La Maison des feuilles de ce type au nom imprononçable*... La façon dont il décrit certaines scènes m’a aussi influencé. Enfin, je me suis bien sûr inspiré du roman épistolaire, essentiellement du Dracula de Bram Stoker. Mes lecteurs ont pu faire le lien avec d’autres références, mais je ne les ai découvertes qu’après la parution de ChessTomb.

T’arrive-t-il de lire d’autres auteurs d’horreur français ?
Non, je ne lis pas d’autres auteurs d’horreur français. Je connais Sire Cédric de nom et pour l’avoir croisé sur des salons, avoir discuté avec lui, mais je n’ai pas pris le temps de le lire encore. Ni Morgane Caussarieu, ni Maxime Chattam. Mais c’est en prévision, j’ai du retard à rattraper…

L’intrigue de ChessTomb est assez complexe. Elle fait des tours et des détours pour, à terme, former un tout cohérent. Il ne doit pas être facile de ne pas s’emmêler les pinceaux quand on écrit ce genre de textes. Fais-tu partie de ces auteurs qui se construisent un plan très détaillé ou préfères-tu écrire au fil de l’eau ?
Cette remarque est intéressante car elle met précisément le doigt sur les artifices que l’on peut créer par l’écrit, notamment en remplaçant le classique chapitre 1... par un autre titre, par exemple : « fragment de document n° x »... L’intrigue de ChessTomb est en réalité très linéaire. On suit un personnage dans une partie, un autre personnage dans une autre. Les événements s’enchaînent en fonction des informations que l’on doit avoir pour comprendre l’histoire. Je n’ai pas trouvé difficile de bâtir le plan de ChessTomb. Il y a eu du travail, oui, mais pas aussi complexe qu’il n’y paraît. Ce ne sont que des artifices qui piègent le lecteur. Et ça, piéger le lecteur, j’adore ! et ça marche, apparemment...
Quant à la question « est-ce que j’utilise un plan ou est-ce que j’écris à l’instinct », la réponse est : « j’apprends ». J’expérimente de nouvelles approches. En fonction du temps que je veux passer à écrire un texte, des nouveaux objectifs littéraires que je me suis fixé. J’évolue vers une écriture à plan détaillé qui me fait gagner du temps. Puis, quand je passe à l’acte et que les personnages commencent à exister dans ma tête, que je les entends parler, penser, je me rends compte que je ne peux régler certains points sans développer plus. Et là, l’inspiration, l’instinct prend sa part. En ce qui me concerne, c’est donc un mélange des deux méthodes. Pour mon troisième roman, c’est ce qui est arrivé. 

Justement ! Ton troisième roman, Le Miroir de Peter, sort le 9 juin. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Oui, bien sûr. Imaginez qu’on fasse la psychanalyse de Stephen King... Et que ce qu’on découvre sur
la façon dont lui viennent ses idées ne corresponde pas du tout à ce que l’on croit... Ainsi, Satiajit, le personnage principal du Miroir, va se voir proposer la psychanalyse d’un des plus grands romanciers d’épouvante.
Ce roman va bien sûr faire la part belle au thème du miroir. Fidèle à ma manière d’aborder une thématique et à mon plaisir de faire découvrir ou redécouvrir un auteur, j’y évoquerai Lewis Carroll. On parlera aussi de cinéma, d’Hollywood, et du pouvoir des images. Ce roman sera plus court et plus dense, et je pense moins horrifique que les précédents. Je me suis davantage attaché aux personnages, cette fois. Il me semble être arrivé à un bon équilibre entre philosophie et roman à l’écriture fluide, à l’intrigue prenante. En tout cas, je l’espère.

Nous avons hâte de le lire ! As-tu déjà un autre projet d’écriture ?
Oui. Je fais des recherches et lis la documentation dont j’ai besoin. J’ai déjà une idée du type d’histoire que j’aimerais raconter. J’envisage de nouveaux objectifs et une évolution littéraire. J’ai envie de rédiger de manière toujours plus fluide en conservant la densité du propos, de creuser des scénarios et des personnages.

Vient la fin de cette interview avec une dernière question : quel était le dernier livre que tu as lu ? Nous le conseillerais-tu ?
Il y en a eu deux, en fait, mais ce ne sont pas des romans. Le dernier livre que j’ai lu est Total Recall, la biographie d’Arnold Schwarzenegger. Je la conseille, en effet, elle est très enrichissante. J’ai aussi lu dernièrement un bouquin de développement personnel de Robert T. Kiyosaki intitulé Père riche, père pauvre. Je le conseille vivement aussi.

Merci, Sébastien, d’avoir accepté cet échange très enrichissant. J’espère qu’on se verra très vite pour parler de ton prochain roman ! 
Avec plaisir. Merci, Estelle, d’avoir pris le temps de me lire et de songer à toutes ces questions.


Propos recueillis par Troglodyte onirique



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* Mark Z. Danielewski.