Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

mardi 26 août 2014

De la fantasy, du fantastique et du merveilleux

Définir la fantasy, genre protéiforme par excellence, n’est pas chose aisée. En particulier parce qu’elle est d’origine anglophone (même si de plus en plus d’écrivains français tirent leur épingle du jeu) et que la définition du genre par les Anglo-Saxons n’est pas tout à fait la même que la nôtre. Anne Besson, dans son ouvrage La Fantasy paru chez Klincksieck, ébauche une première définition de la fantasy comme étant :
« un ensemble d’œuvres textuelles mais aussi iconographiques et interactives qui exaltent (ou parodient) une noblesse passée marquée par l’héroïsme, les splendeurs de la nature préservée et l’omniprésence du sacré, en ayant recours à un surnaturel magique qui s’appuie sur les mythes et le folklore. »
Mais elle ne tarde pas d’ajouter :
« Cependant, dès que l’on cherche à borner trop fermement le domaine d’extension du genre, la validité de toute définition s’estompe (1). »
Nous avons précisé que les critiques français ne définissent pas la fantasy de la même façon que les Anglo-Saxons. En effet, ces derniers rassemblent indifféremment dans la fantasy des œuvres comme l’épopée de l’Odyssée d’Homère, les contes merveilleux des frères Grimm ou encore les nouvelles fantastiques d’Edgar Allan Poe, alors que les spécialistes français, forts des théories todoroviennes, ne peuvent que constater l’écart entre ces différentes classes de texte, et notamment entre le merveilleux, le fantastique et la fantasy sur lesquelles nous allons nous pencher ici.
Genre importé et transformé en France au xixe siècle, le fantastique a fait couler beaucoup d’encre dès son apparition. Sur ce sujet, l’étude de Tzvetan Todorov reste une référence. Voici comment il définit le fantastique :
« Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. […] Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel (2). »
Bien que la critique moderne n’exclue plus un fantastique de « la monstration de l’inexplicable et de l’inacceptable », qui « joue sur le caractère spectaculaire, au sens propre, de l’être ou de l’objet qu’il donne à voir (3) », elle positionne encore le fantastique comme une « intrusion brutale (4) » de l’élément incompréhensible dans le réel parfaitement ordonné et répondant à des lois scientifiquement notoires, comme une « rupture de l’ordre reconnu (5) ». Or, la fantasy, au contraire, impose l’existence de la magie et du surnaturel comme allant de soi, éloignant le lecteur (pour son plus grand plaisir) de son cadre de vie réelle.
« Non seulement le “cadre de la vie réelle” n’y est présent qu’à titre optionnel, les “autres mondes” s’imposant davantage comme trait générique saillant, mais encore et surtout il ne saurait être question d’“ordres établis” ou de “lois naturelles” seules valables, où l’irrationnel ferait “intrusion”, choc ou même trouble. Au contraire, la fantasy apparaît en majorité comme le domaine d’un “surnaturel naturalisé” : l’existence ou l’apparition de créatures ou d’événements inconnus de notre cadre cognitif s’y voit accepté par le lecteur/spectateur au même titre qu’elles le sont au sein du monde fictionnel, sans prêter à la remise en question ou même à l’interrogation (6). »
J.R.R. Tolkien, à qui l’on doit en grande partie ce qu’est devenue la fantasy aujourd’hui, s’était lui-même interrogé sur le genre embryonnaire qu’il avait créé. Et il avait déjà essayé, dans son essai « Du conte de fées », d’expliquer ce genre à peine éclos. Pour lui, l’univers de fantasy créé par l’écrivain est un « monde secondaire » (par opposition au « monde primaire », celui que nous connaissons), qui repose sur un système de magie cohérent et sur ses propres « lois naturelles » pour reprendre l’expression, quoique détournée, de Todorov. Voici ce que dit exactement Tolkien :
« Il [l’auteur] crée un Monde Secondaire dans lequel votre esprit peut pénétrer. À l’intérieur, ce qu’il raconte est “vrai”, c’est-à-dire correspond aux lois de ce monde. Par conséquent, vous y croyez, aussi longtemps que vous vous trouvez à l’intérieur, en quelque sorte. Au moment où surgit l’incrédulité, le charme est rompu ; la magie, ou plutôt l’art, a échoué. Vous êtes alors de nouveau dans le Monde Primaire, à regarder de l’extérieur le petit Monde Secondaire avorté (7). »
Ainsi, l’univers créé n’est pas exempt de logique, mais sa logique lui est propre. Et plus le « monde secondaire » de l’auteur est détaillé, cohérent avec lui-même, plus le charme opère, retenant le lecteur dans une « croyance secondaire ».
« Quiconque héritant de la faculté de Fantasy du langage humain peut dire le soleil vert. Beaucoup peuvent alors l’imaginer ou le représenter. Mais ce fait ne suffit pas […]. La création d’un Monde Secondaire dans lequel le soleil vert serait crédible, et qui commande la Croyance Secondaire, requiert probablement du labeur et de la réflexion, et exige certainement un talent particulier, une sorte d’art elfique (8). »
En résumé, la fantasy pince les mêmes cordes que le merveilleux qui est défini comme reposant « sur l’acceptation immédiatement donnée d’un surnaturel qui ne suscite aucune surprise (9) ». Mais le merveilleux n’est pas considéré comme un genre à proprement parler, à la différence de la fantasy née dans la seconde moitié du xxe siècle. Le merveilleux est plutôt une sorte de courant artistique qui a traversé les époques, et notamment le Moyen Âge, pour se retrouver dans toutes sortes de récits génériques, à commencer par les plus connus, les contes merveilleux.


(1) Anne Besson, La Fantasy, Paris, Klincksieck, « 50 questions », 2007, p. 14.
(2) Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Points, 1970, p. 29.
(3) Michel Viegnes, Le Fantastique, Paris, Flammarion, « GF Corpus », 2006, p. 16.
(4) Pierre-Georges Castex, Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, Paris, José Corti, 1951, p. 8. Cité par Michel Viegnes, op. cit., p. 15.
(5) Roger Caillois, préface d’Anthologie du fantastique, Paris, Gallimard, 1966, p. 191. Cité par Michel Viegnes, op. cit., p. 15.
(6) Anne Besson, La Fantasy, op. cit., p. 17.
(7) J.R.R. Tolkien, « Du conte de fées » dans Les Monstres et les critiques et autres essais, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2006, p. 165-166.
(8) Ibid., p. 174. « Du labeur et de la réflexion », Tolkien n’en manquait pas, lui qui n’a eu de cesse, de son vivant, de bâtir un monde riche de détails et d’histoires enchâssées au fil des livres qu’il a publiés : Bilbo le hobbit et Le Seigneur des anneaux bien sûr, mais aussi Le Silmarillion, travail de toute une vie qu’il ne publiera jamais de son vivant, faute d’avoir pu achever un ouvrage qu’il alourdissait sans relâche d’ajouts et de retouches.
(9) Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 263.

mercredi 13 août 2014

Maléfique
film réalisé par Robert Stromberg

Résumé :
Il était une fois un royaume lointain, baignant dans la paix et la prospérité. Le couple royal qui le gouvernait était bon pour son peuple, mais il était triste car il ne parvenait pas à avoir d’enfants. Jusqu’au jour où la reine accoucha d’une ravissante petite fille. Une grande cérémonie fut donnée en l’honneur de ce bébé tant espéré. Tous les notables du royaume furent invités. Les fées elles-mêmes furent conviées à se pencher sur le berceau. Mais l’une d’entre elles avait été oubliée. La grande, l’odieuse, l’ignoble Maléfiq…
Ah non, c’est pas le bon script… ça, c’est le dessin animé de 1959. Mais où est passé notre film ? Ah, le voilà. Mmh, je reprends.
Il était une fois deux peuples antagonistes : le peuple des hommes et celui de la féerie. Mais que connaissent des conflits les enfants ? Un petit d’homme pénétra dans le royaume de féerie pour y voler une pierre précieuse… et c’est le cœur de la pétillante Maléfique, une jeune fée malicieuse, qu’il ravit. Les deux êtres que tout séparait grandirent dans l’amitié, puis l’amour, respectant leurs différences à l’abri de la brutalité du monde des hommes. Mais l’ambition et la cupidité du jeune voleur mirent un terme à leur complicité. Pour devenir roi, ce dernier endormit Maléfique par traîtrise et l’amputa de ses ailes.
À son réveil, Maléfique, pétrie de douleur, sombra dans une haine dévastatrice dont rien ne semblait pouvoir la sauver…


Critique (attention, spoilers) :
Maléfique est un petit bijou d’humour et de stéréotypes retournés comme des gants pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Angelina Jolie est lumineuse au cœur de la noirceur de son personnage, lui insufflant une humanité et une vulnérabilité touchantes. Mais les acteurs qui l’entourent ne sont pas en reste. Pour ne citer qu’eux, Sharlto Copley, l’inoubliable Wikus van der Merwe de District 9 (ne serait-ce que pour son nom imprononçable) et Elle Fanning, étoile montante à Hollywood, emplissent le film de leur présence dans les rôles respectifs du roi Stéphane et de la princesse Aurore.
Pendant longtemps, malgré son succès littéraire, la fantasy portée à l’écran n’a guère donné de beaux fruits, hormis quelques rares exceptions parmi lesquelles les adaptations cinématographiques du Seigneur des anneaux et de Bilbo le Hobbit par Peter Jackson. Néanmoins, on a pu voir ces dernières années fleurir de surprenantes réussites, notamment grâce à la révision des contes de fées, comme Blanche Neige et le chasseur (malgré quelques défauts), mais surtout la série télévisée Once upon a time et à présent Maléfique.
Cette réécriture audiovisuelle de La Belle au bois dormant s’écarte radicalement des versions littéraires des frères Grimm et de Charles Perrault, tout comme elle prend volontairement le contre-pied du dessin animé Disney de 1959. On y retrouve bien sûr les scènes clés (le lancement du mauvais sort, l’édification de la muraille d’épines, la rencontre du prince et de la princesse, la plongée de cette dernière dans un sommeil profond…) mais vues sous un jour totalement nouveau. Ici, ce sont les humains qui ont le mauvais rôle. Guidés par un roi avide de pouvoir et sans merci, ils se montrent impitoyables envers les membres du petit peuple.
On pourrait presque voir dans ce film un retour aux sources du merveilleux, du temps où ce dernier, païen, n’avait pas encore revêtu ses atours chrétiens. Voire observer, dans la lutte qui oppose les hommes à la féerie, une métaphore (probablement inconsciente) du combat livré par l’Église contre les folklores indigènes pour les étouffer, ou tout au moins les acculturer. Un combat que la fantasy reprend souvent au nom du merveilleux païen, comme une tentative désespérée de changer l’issue de cette bataille qui, dans l’histoire, fut moins heureuse pour les êtres féeriques.
Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle version de La Belle au bois dormant brise en mille éclats le mythe du true love kiss, largement diffusé par l’industrie Disney elle-même, pour le reforger de manière assez inattendue.