Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

mercredi 7 décembre 2016

Suicide Squad 

film réalisé par David Ayer


Résumé :
Après la disparition de Superman, le monde a besoin d’un nouveau sauveur.
Et Amanda Waller, agent secret retorse du gouvernement américain, a une façon très peu catholique de remédier à la question. Elle réunit les plus dangereux criminels de Gotham City et les oblige à se mettre au service de la sécurité nationale en dépit de leurs intérêts personnels. Elle appelle cette unité d’élite la « Force Spéciale X ». Eux se voient plutôt comme la « Suicide Squad »…
Même les supervilains ont une faiblesse qui peut être exploitée, pense l’agent Waller. Mais est-ce suffisant pour les contrôler ?


Critique (attention, spoilers) :
Suicide Squad, c’est Avengers en version very bad guy !
On y retrouve aussi un peu de l’ambiance malsaine et borderline de Sin City, en beaucoup plus édulcoré, ce qui rend « l’escadron de la mort » de DC Comics plus accessible au grand public. L’humour y est moins noir et plus léger, mais les deux films partagent la même attention portée à l’esthétique et le même goût pour les images époustouflantes.
Certes, l’intrigue est cousue de fil blanc. Cependant, les personnages ont une réelle profondeur. Suicide Squad met en scène des antihéros comme on les aime, aux talents hors du commun mais aux défauts tout ce qu’il y a de plus humains. Chacun a son talon d’Achille qui le rend particulièrement attachant. Les « méchantes », Harley Quinn et l’Enchanteresse, sont hyper canons et super badass
Mais la véritable méchante du film est, contre toute attente, Amanda Waller. Cette femme d’apparence bien éduquée est une version plus obscure du personnage de Nick Fury, joué par Samuel L. Jackson, dans Avengers. Car, sans l’arrogance et la soif de pouvoir de cette femme, il n’y aurait pas de catastrophe, et tout simplement pas de film… Une parabole de l’action de nos chefs d’État qui jouent aux seigneurs de guerre et provoquent des conflits un peu partout dans le monde en fabriquant les terroristes de demain ?
Certains trouveront la présentation des personnages un peu longue, mais elle fait aussi tout le sel de ce long-métrage survitaminé, qui repose entièrement sur l’affrontement de ces différentes personnalités aux talents multiples et aux intérêts divergents.
Ce film est un festival d’humour, de violence et de bonnes… pardon ! de mauvaises actions, que je recommande à tous les fans de superhéros… et aux autres !
Superman est mort ? Vive Supermen !

dimanche 30 octobre 2016

La Séquestrée 

de Charlotte Perkins Gilman (éditions Libretto) 

 

Résumé : 
Pour la guérir de sa dépression, un médecin contraint son épouse, jeune mère de famille sensible et passionnée, à une cure de repos drastique. Mais l’isolement et l’oisiveté ne présentent pas le succès escompté…


Critique (attention, spoilers) :
Grande figure de la société américaine du xixe et du xxe siècle, Charlotte Perkins Gilman, née en 1860, a publié La Séquestrée en 1890.
Cette courte nouvelle dresse le portrait d’une femme frustrée, obligée par son entourage à refouler toute émotion, toute ambition propre, pour se conformer aux exigences d’une société faite pour et par les hommes. Sans cesse rabrouée et réfrénée par ses proches – qui n’opposent à son mal-être qu’une indifférence dédaigneuse –, fortement marquée par l’oisiveté et la solitude, la narratrice a pour seule compagnie ses idées noires, et elle ne trouvera d’échappatoire que dans la folie.
Évoquée dans un épisode de la première saison d’American Horror Story, La Séquestrée (The Yellow Wallpaper, en anglais) – de même que son auteure – gagnerait à être mieux connue en France.
Tout en faisant penser aux récits fantastiques de Guy de Maupassant (notamment au Horla) et aux Contes macabres d’Edgar Allan Poe, cette nouvelle s’éloigne de ces histoires courtes, non par son style ou les faits qu’elle relate, mais par le message sous-jacent de son auteure. En effet, dans La Séquestrée, le fantastique n’est qu’une apparence, car peu d’ambiguïté plane sur la santé mentale de la narratrice, qui voit dans le papier peint de sa chambre une femme retenue prisonnière. Sous la plume de Charlotte Perkins Gilman, il ne fait aucun doute que cette vision n’est que le délire de l’héroïne dont l’esprit s’est libéré des entraves de la société en choisissant la démence.
Et si l’auteure sait si bien décrire la folie naissante, c’est qu’elle a elle-même flirté avec pendant plusieurs années…
L’édition Libretto peut paraître un peu chère vu l’épaisseur du livre, mais elle a le mérite de se terminer par une biographie de l’auteure qui permet de mieux comprendre son œuvre et le contexte dans lequel elle l’a écrite, car La Séquestrée est en grande partie autobiographique.
Abandonnée par son père et élevée par une mère castratrice, Charlotte s’est mariée en 1884 par respect des convenances. Mais elle vit mal ce mariage. Profondément frustrée de devoir se soumettre à l’autorité masculine que représente son époux, elle souffre en outre, après son accouchement, d’une sévère dépression.
Trois ans avant de songer à écrire La Séquestrée, Charlotte demande conseil à un célèbre neurologue qui lui prescrit une cure de repos drastique, l’enjoignant de ne plus s’adonner à aucune activité intellectuelle. Mais, au bout de plusieurs mois de ce traitement, l’état de Charlotte empire, et la jeune femme se sent si près de basculer dans la démence qu’elle reprend le travail. C’est en se remettant à écrire qu’elle réussit à sortir du marasme dans lequel elle a été à deux doigts de sombrer.
À la suite de cette mauvaise expérience, Charlotte divorce et gagne son indépendance en donnant de nombreuses conférences qui exportent son nom au-delà des frontières américaines. Ses vues sur le divorce, les droits parentaux et ceux des enfants, sont largement en avance sur son temps.
Pionnière, Charlotte le reste jusqu’au jour de sa mort. Atteinte d’un cancer du sein incurable, elle se suicide en 1935, alors qu’elle est en phase terminale de la maladie. Une fois de plus, elle défend ainsi une cause qui lui est chère : le droit pour tous de mourir dignement.
Mais Charlotte a surtout été retenue par la postérité comme une féministe engagée. Elle n’a, dans ses œuvres, cessé de dénoncer l’hégémonie masculine et la condition des femmes de son époque. Ces dernières, prisonnières du carcan social, du foyer et des tâches ménagères, n’avaient alors pour autre destinée que celle de soutenir leur mari et de devenir mère d’homme. Cette écrivaine talentueuse leur a ouvert une autre voie.
Charlotte Perkins Gilman était un être exceptionnel, qui a su renverser les obstacles, malgré les préjugés, pour s’affranchir de sa condition et participer à élever les femmes au même niveau que les hommes. La Séquestrée condense tout ce que l’écrivaine a connu de plus phallocrate, s’inspirant d’un vécu subi et douloureux. C’est un magnifique témoignage de l’époque victorienne, bouleversant de vérité. Un récit réaliste engagé qui sonne comme une œuvre fantastique sans en être véritablement une…

dimanche 4 septembre 2016

La Sorcière de midi 

de Michel Honaker (éditions Rageot)

 

Résumé :
Ed, il aime bien manger. Du coup, il est un peu gros, et c’est pas facile d’être un peu gros quand l’école est truffée d’idiots comme Williams et sa bande. Heureusement qu’il y a Harold, son copain Harold un peu étrange. Il a toujours l’air d’être ailleurs, Harold. Mais c’est quelqu’un de bien. Et quand les disparitions commencent, Harold est le seul à donner l’impression de comprendre quelque chose…


Critique :
Quand Le Petit Nicolas rencontre Ça de Stephen King…
La Sorcière de midi de Michel Honaker est un petit bijou d’humour et de poésie. D’une poésie brute, sauvage, à la grande puissance évocatrice.
Le narrateur, Edmond Willoughby (dit « Ed ») est un héros tendre et attachant, un petit gros qui fait  penser à Alceste, le mangeur de la bande créée par Sempé et Goscinny. Au style vif et imagé à l’ironie mordante déjà présent dans le cycle L’Agence Pinkerton du même auteur, s’ajoute ici un langage enfantin, empreint d’une fausse naïveté qui soulève plusieurs niveaux de lecture.
L’atmosphère, lourde et pesante, et le calme inquiétant qui plane sur ce village enfoui sous la neige, ne sont pas sans rappeler Un roi sans divertissement de Jean Giono. À ceci près que, sous la plume d’Honaker, le fantastique se fond dans le réel comme une goutte de sang dans la neige…
La Sorcière de midi, c’est aussi un hommage au poème symphonique éponyme d’Antonín Dvořák* et aux légendes populaires tchèques dont le compositeur s’était lui-même inspiré.
Texte court que l’on dévore, one-shot qui se suffit à lui-même… Ce roman s’adresse à tous ceux qui croient que la littérature pour la jeunesse n’est bonne que pour les enfants et qu’elle n’a rien à apporter aux adultes. À lire de toute urgence !

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* La Sorcière de midi (Polednice), B. 196, (op. 108).

dimanche 21 août 2016

L’Agence Pinkerton 

Tome 1, Le Châtiment des Hommes-Tonnerre 

de Michel Honaker (éditions Flammarion)


Résumé :
Trois hommes à la poursuite d’un voleur sur le Transcontinental. Mais pas n’importe quels hommes, rendez-vous compte ! Des agents du premier bureau fédéral américain, des agents de la célèbre agence Pinkerton… Trois nouveaux cadavres sur les rails.
Jamais encore le voleur n’avait fait de victime. Et pour une première, il a frappé fort ! L’affaire fait les choux gras de la presse. Il faut agir, mais quoi faire ?
Neil Galore, un jeune dilettante, est embauché par l’agence, en compagnie de trois autres jeunes gens, pour reprendre l’enquête. Sauront-ils mettre leurs dissensions de côté pour trouver le coupable ?


Critique (attention, spoilers) :
Voilà une série qui fleure bon la poudre, les chevaux et le sable chaud du désert !
Ce premier tome de L’Agence Pinkerton nous fait gentiment renouer avec les westerns qui ont marqué l’industrie du cinéma, notamment à partir des années 60.
On retrouve en effet, dans Le Châtiment des Hommes-Tonnerre, tous les codes, les thèmes et les stéréotypes du bon vieux western que Michel Honaker remet au goût du jour, les jeunes générations n’ayant pas forcément eu accès aux films de Sergio Leone et compagnie.
L’ambiance du Far West est ainsi très bien rendue… un peu trop d’ailleurs.
Dans ce premier tome, Honaker ne s’écarte pas beaucoup des stéréotypes. Alors qu’il aurait pu exploiter les motifs inhérents au western en les renouvelant, les transcendant, il ne fait que les exploiter sans leur apporter grand-chose de novateur, se limitant aux situations classiques : la partie de poker au saloon, le voyage en train qui commence à mailler le territoire américain, le déraillement du même train par le sabotage de l’aiguillage, l’exploration d’un tunnel souterrain (on ne tombe pas loin du grand classique de la mine), la manipulation de la nitroglycérine, le cimetière indien (non, je vous ai eu, c’est en réalité un charnier chinois)… Bien sûr, ces scènes s’appuient sur une réalité bien établie, mais elles ne constituent pas à elles seules le Far West, et elles ont déjà été décrites des dizaines de fois. En fait, on a parfois l’impression que ces stéréotypes font partie de l’ambition didactique du roman, qui est par moments assez mal dissimulée.
Heureusement, le héros, Neil Galore, est bien campé, et assez peu conventionnel : menteur, voleur, tricheur… C’est un cabotin, sympathique en dépit de ses défauts, qui s’avère évidemment être plus que la somme de tous ses vices ! Ses compagnons d’armes, Armando Demayo et Elly Aymes, auraient mérité d’être un peu plus développés. Intéressants, ils ne sont cependant pas très utiles, et on comprend vite que Neil est le seul à avoir la trempe du détective, donc du héros, dans cette histoire…
La vraie surprise de L’Agence Pinkerton, c’est que le cycle se présente comme une saga historique truffé d’éléments fantastiques, ce qui reste assez rare dans le western et fait délicieusement penser au jeu de rôles Deadlands. La magie est bien introduite, quoique, encore une fois, plutôt classique. Trois pouvoirs sont en effet répertoriés dans ce tome 1 : la clairvoyance par le biais de visions, la pyrokinésie et le don d’ubiquité (capacité à se trouver en plusieurs endroits en même temps). Un peu trop faciles d’utilisation, ces pouvoirs magiques n’exigent apparemment pas de formation particulière, et leur pratique ne semble susciter aucune difficulté particulière pour peu que le personnage ait le don.
D’un autre côté, Honaker préfère ici l’humour et l’action au mélodrame, et c’est ce qui fait le charme du Châtiment des Hommes-Tonnerre.
La technique de l’auteur est d’ailleurs irréprochable. Il y a très peu de temps morts dans son intrigue et ils sont parfaitement bien dosés : nulle place à l’ennui dans cet hybride d’Harry Potter et de Lucky Luke. Dans ce sens, c’est un roman qui se lit comme un film. L’ensemble est joliment écrit, relevé par un style vif et imagé. Mais l’intrigue passe vite, trop vite. Heureusement que les tomes suivants sont là pour développer l’univers qui nous laisse sur notre faim dans ce premier opus.
Car si ce premier roman m’a semblé manquer d’un supplément d’âme, évoquant un produit fabriqué à la chaîne (l’auteur ayant déjà écrit plus d’une centaine d’ouvrages), la suite de la série devient très vite addictive. Dès le tome 2, Michel Honaker s’éloigne des stéréotypes qui pèsent sur le tome 1, et il développe davantage les personnages secondaires ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec le héros, apportant enfin ce vent frais tant attendu.
Et, de toute façon, le western fantastique se fait trop rare, dans la littérature française, pour bouder notre plaisir. Alors montez dans le Transcontinental et, comme Neil Galore, partez à la conquête de l’Ouest !
Sinon… tu vas danser, pèlerin.

dimanche 24 juillet 2016

Krine : Les Pilleurs de cercueils 

de Stéphane Tamaillon (éditions Gründ)


Résumé :
Londres, xixe siècle. Terre d’exil pour des milliers de Grouillants fuyant les persécutions dans leur pays natal. Hector Krine est l’un d’entre eux. Contrairement à certains de ses congénères, il n’a pas quatre bras ni des problèmes d’hyperpilosité à la pleine lune. En revanche, il est souvent assailli d’images mentales au contact des gens. Détective hors pair se refusant à employer ses talents spéciaux pour vivre comme tout le monde, il est chargé d’enquêter sur de mystérieuses disparitions de cadavres dans le cimetière d’Abney Park. L’affaire, rondement menée, s’avérera néanmoins plus complexe qu’il ne l’avait prévu… 


Critique (attention, spoilers) :
Premier tome d’une trilogie, Les Pilleurs de cercueils implante une ambiance gothique à souhait où la fantasy épouse à merveille la grande Histoire. Et pour cause ! Stéphane Tamaillon est spécialiste de cette matière qu’il enseigne, il avait donc bien des prédispositions pour nous offrir une belle intrigue agrémentée d’informations étonnantes sur le Londres victorien.
Mêlant habilement personnages réels et fictifs et s’inspirant des grandes œuvres de la littérature anglo-saxonne du xixe siècle, cet auteur français fait cohabiter avec un étrange succès Mr. Hyde et le Sphinx, Arthur Conan Doyle - le père de Sherlock Holmes - et le professeur Frankenstein accompagné de sa créature, et bien d’autres illustres ou anonymes héros de folklore, de mythologie et de roman. Ajoutez à cela quelques conducteurs de taxis automates, un locotube sillonnant les grandes artères de Londres, et des alambics remplis de produits inconnus, et vous aurez une idée précise de ce qui vous attendra dans les aventures du détective Hector Krine.
Passionné du grand écran, et notamment de la Hammer (société de production spécialisée dans les films d’horreur ayant connu un âge d’or dans les années 80), Stéphane Tamaillon a également su réinjecter dans son roman une esthétique toute cinématographique qui ravira les grands lecteurs nostalgiques et les petits émerveillés.
Le seul bémol ? Les éléments steampunk semblent un peu simplistes au premier abord, n’apparaissant que par petites touches, comme si l’auteur avait seulement voulu donner un effet plutôt que de réellement créer tout un univers fait de machines victoriennes… mais c’est exactement ce que revendique Stéphane Tamaillon, qui lève un peu le voile, en postface, sur le processus de création qui l’a mené à l’écriture des Pilleurs de cercueils : « Les adeptes du steampunk sont souvent pointilleux sur les techniques présentes (machines et Cie). Mon approche est ludique et sans volonté de réalisme scientifique. Il faut y voir davantage un hommage aux fantaisies mécaniques de la série Wild Wild West (Les Mystères de l’Ouest) avec Robert Conrad […], je n’ai pas cherché à coller à un genre en particulier, plutôt à leur emprunter ce qui me plaisait pour l’intégrer à mon propre univers »…
La démarche est honnête et assumée, le pari réussi. Fantasy historique, uchronie, steampunk… Les Pilleurs de cercueils est un peu tout cela à la fois, et le mélange est détonant !

lundi 6 juin 2016

Laissons la parole à…


Sébastien Péguin, alias John Ethan Py


(écrivain)


Comment te définirais-tu en trois dates clés ?
En 1990 (je crois), milieu d’année, j’ai aux alentours de 13 ans et je suis en 4e. Je ne suis pas un grand lecteur, voire pas lecteur du tout. La lecture m’ennuie vite, alors je ne lis que des BD. Pourtant, en furetant du côté des romans fantastiques dans ma bibliothèque municipale, je tombe sur Simetierre de Stephen King, dont la couverture m’attire. La 4e de couverture me convainc d’emporter le livre et de me plonger dedans. Là, c’est un choc existentiel. Une révélation. La dernière page tournée, un impératif clignote dans ma tête : devenir romancier, écrire des bouquins comme celui-là. Je suis donc passé de « zéro livre lu » à « je veux devenir romancier », et tout d’un coup je me suis donné comme ambition de rattraper des années de retard de lecture. C’est à cette même période que j’ai commencé à écrire des nouvelles.
Aux environs de 2004, je rédige mon premier roman « officiel ». C’est-à-dire une histoire structurée, longue de 400 pages, et un projet abouti à 100 %. J’ai fait d’autres tentatives avant, mais là je pousse l’expérience jusqu’à le faire imprimer, et à créer la couverture moi-même. J’ai déjà achevé deux romans, mais rien de vraiment publiable. Celui-là je l’ai écrit alors que je lisais Harry Potter et l’Ordre du phénix. J’ai lâché ce tome à la moitié et je me suis dit : « Il faut que je fasse quelque chose. » L’histoire de J. K. Rowling n’avait plus de sens pour moi. Que les fans me pardonnent, mais je trouvais le texte trop long et répétitif, trop axé sur la frustration. Cela m’a fait décrocher, car je ne voyais pas où voulait en venir l’auteure. J’ai donc écrit ma propre version d’Harry Potter. Une sorte de huitième tome. Son titre : Harry Potter et le sortilège de D. Fairy.
Enfin, en 2008, je découvre Le Roi des aulnes de Michel Tournier, tandis que j’écris Le Songe d’Adam, mon premier roman publié aux éditions HSN. Ce classique me montre que l’on peut faire une histoire fantastique en même temps que philosophique, et il a une influence très forte sur mon texte.

Es-tu auteur à plein temps ?
Si la question implique que je n’aie aucune autre activité (plus lucrative, par exemple) en plus de mon métier de romancier, la réponse est « non ». Mais si la question consiste à demander si j’écris tout le temps, alors la réponse est « oui ». Pour l’instant, l’écriture ne me permet pas de m’assurer une vie matériellement confortable. Si, enfin, « à plein temps » doit impliquer que j’écrive toute la journée, la réponse est encore « non ». Je suis auteur à plein temps quand je décide de me consacrer à cette activité, de même que je suis enseignant à plein temps quand je suis au collège.

Pratiques-tu d’autres activités artistiques qui te permettent de t’exprimer ?
Oui. J’ai fait des études d’art et je continue de peindre. Je pratique aussi la guitare et le chant. Il m’arrive enfin de réaliser de courts métrages, à partir d’images (photos, morceaux de films…). Je lie souvent le tout avec une histoire que j’invente, un texte donc, que j’enregistre ou que je place en surimpression sur les images. Enfin, parfois, j’ajoute au métrage une bande sonore.

On n’écrit pas un roman comme on peint un tableau… Quelles sont les différences d’expression que tu éprouves en fonction des différents médias que tu utilises ? Y a-t-il des choses que tu peux dire dans un roman ou un court-métrage que tu ne peux pas exprimer par la peinture ou vice versa ?
Il faut adapter sa manière de penser, voire de ressentir, au média. En peinture, je vais me concentrer sur les harmonies colorées, les jeux de rythme d’images. Faire un travail sur la perspective, le « près » et le « loin », et évoquer des thèmes via des associations d’images ou de mots, selon ce que je représente. Je dirais donc que ma pensée s’adapte à ce que je peins, et c’est mon œil qui va tout régler. Pour ce qui est de la vidéo, mon approche va dépendre d’une trame narrative, mais il y aura tout un aspect spécifique entre le son et l’image qui permettra de produire des effets précis, de susciter des émotions, du rire… J’aime surtout travailler sur l’aspect émotionnel quand je peins ou réalise une vidéo. Pareil en musique.
L’écrit quant à lui répond davantage à une part de l’esprit rationnelle, conceptuelle, car un texte naît d’images mentales et en crée à son tour. De fait, certaines idées exigent d’être exprimées dans le temps, et parfois à haute voix pour que les mots libèrent tout leur impact. L’écrit, art du temps, permet aussi de créer une évolution bien plus subtile, car longue de 300 pages et non plus de 10 minutes de vidéo ou de musique. Certains effets visuels et sonores sont en revanche quasi impossibles à rendre dans un texte. C’est pourtant l’une des questions que je me pose souvent, « comment je peux rendre tel effet purement visuel ou sonore de manière textuelle », et à laquelle je tente de répondre lorsque j’écris.

Que retrouves-tu dans l’écriture que tu ne trouves pas dans les autres médias ?
La capacité de raconter une histoire forte, dans laquelle on peut s’immerger et plus facilement créer des liens entre différentes mythologies ou idées. Le fracas de certains mots, aussi, va susciter des images mentales quasi impossibles à reproduire par l’image. La plupart des romans ont aussi cela de spécifique qu’ils mettent en scène des êtres humains. Donc on s’y projette toujours un peu, soi, en tant que personne. Il est difficile de rendre un texte (un roman, en tout cas) aussi abstrait qu’une peinture...

Comment trouves-tu le temps d’écrire, avec toutes ces activités créatives ?
Je ne le trouve pas, je me le crée. J’ai une conception du temps et de l’organisation qui me permet de faire tout ce que je souhaite, si je décide de le faire. Je ne dis presque jamais que je n’ai pas eu le temps. Le temps, je l’ai. C’est juste que je ne l’ai pas pris, et que je l’ai utilisé pour faire autre chose qui me paraissait plus important. J’aurais beaucoup de choses à partager sur ce sujet et sur l’art de gérer son temps, de se le créer. Mais, là, la conversation deviendrait très sérieuse... 

Comment l’idée de ChessTomb t’est-elle venue ?
Elle m’est venue des intuitions et de l’envie de créer à partir d’œuvres littéraires et cinématographiques qui ont laissé leur empreinte sur moi. Alors que j’étais ado, vers 13 ans, j’ai vu le film Re-Animator de Stuart Gordon en cachette de ma mère, qui n’aimait pas ce genre de films. On s’est fait le visionnage chez un pote, une après-midi... Ça marque. C’était un de mes premiers films d’horreur. Un choc. L’histoire qui m’unit à Re-Animator est très personnelle. Alors que j’étais à la campagne avec un ami dont le frère, plus âgé, l’avait vu, il m’a été raconté en entier. Rien que le récit du film m’avait marqué. Puis je l’ai vu quelques années après. Le thème de la résurrection m’a toujours fasciné. J’ai fait mon mémoire d’Esthétique sur cette problématique. La question que je me suis posée était : « Quel lien il pourrait y avoir entre Lovecraft, Re-Animator, et Descartes ? » Apparemment, aucun. Et pourtant... Le lien existe. Je le développe dans ChessTomb. Pour bâtir le reste du roman, je me suis inspiré d’autres thèmes, j’ai eu d’autres intuitions qui se sont rattachées à ce mystérieux lien. J’ai également été poussé par l’envie de parler de la création littéraire. Enfin, la lecture de Drood, de Dan Simmons, m’a orienté vers la forme actuelle de ChessTomb, vers cette patine que j’ai cherché à donner aux témoignages de mes personnages vivant dans les années 20.

ChessTomb est un hommage vibrant à H. P. Lovecraft. J’ai également cru reconnaître, dans la violence et la crudité de certains passages, l’influence de Graham Masterton que tu cites d’ailleurs dans tes références. Quels sont d’après toi les écrivains qui t’ont inspiré dans l’écriture de ce roman ?
Tu as vu juste. Graham Masterton est l’un de ceux qui m’ont le plus inspiré pour les parties horrifiques. Et, comme je le disais juste avant, Drood de Dan Simmons m’a beaucoup marqué. Curieusement aussi, De sang-froid de Truman Capote, dont j’ai apprécié, au début, la manière très distanciée de décrire un fait divers réel. Mon éditeur m’a également suggéré de lire La Maison des feuilles de ce type au nom imprononçable*... La façon dont il décrit certaines scènes m’a aussi influencé. Enfin, je me suis bien sûr inspiré du roman épistolaire, essentiellement du Dracula de Bram Stoker. Mes lecteurs ont pu faire le lien avec d’autres références, mais je ne les ai découvertes qu’après la parution de ChessTomb.

T’arrive-t-il de lire d’autres auteurs d’horreur français ?
Non, je ne lis pas d’autres auteurs d’horreur français. Je connais Sire Cédric de nom et pour l’avoir croisé sur des salons, avoir discuté avec lui, mais je n’ai pas pris le temps de le lire encore. Ni Morgane Caussarieu, ni Maxime Chattam. Mais c’est en prévision, j’ai du retard à rattraper…

L’intrigue de ChessTomb est assez complexe. Elle fait des tours et des détours pour, à terme, former un tout cohérent. Il ne doit pas être facile de ne pas s’emmêler les pinceaux quand on écrit ce genre de textes. Fais-tu partie de ces auteurs qui se construisent un plan très détaillé ou préfères-tu écrire au fil de l’eau ?
Cette remarque est intéressante car elle met précisément le doigt sur les artifices que l’on peut créer par l’écrit, notamment en remplaçant le classique chapitre 1... par un autre titre, par exemple : « fragment de document n° x »... L’intrigue de ChessTomb est en réalité très linéaire. On suit un personnage dans une partie, un autre personnage dans une autre. Les événements s’enchaînent en fonction des informations que l’on doit avoir pour comprendre l’histoire. Je n’ai pas trouvé difficile de bâtir le plan de ChessTomb. Il y a eu du travail, oui, mais pas aussi complexe qu’il n’y paraît. Ce ne sont que des artifices qui piègent le lecteur. Et ça, piéger le lecteur, j’adore ! et ça marche, apparemment...
Quant à la question « est-ce que j’utilise un plan ou est-ce que j’écris à l’instinct », la réponse est : « j’apprends ». J’expérimente de nouvelles approches. En fonction du temps que je veux passer à écrire un texte, des nouveaux objectifs littéraires que je me suis fixé. J’évolue vers une écriture à plan détaillé qui me fait gagner du temps. Puis, quand je passe à l’acte et que les personnages commencent à exister dans ma tête, que je les entends parler, penser, je me rends compte que je ne peux régler certains points sans développer plus. Et là, l’inspiration, l’instinct prend sa part. En ce qui me concerne, c’est donc un mélange des deux méthodes. Pour mon troisième roman, c’est ce qui est arrivé. 

Justement ! Ton troisième roman, Le Miroir de Peter, sort le 9 juin. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Oui, bien sûr. Imaginez qu’on fasse la psychanalyse de Stephen King... Et que ce qu’on découvre sur
la façon dont lui viennent ses idées ne corresponde pas du tout à ce que l’on croit... Ainsi, Satiajit, le personnage principal du Miroir, va se voir proposer la psychanalyse d’un des plus grands romanciers d’épouvante.
Ce roman va bien sûr faire la part belle au thème du miroir. Fidèle à ma manière d’aborder une thématique et à mon plaisir de faire découvrir ou redécouvrir un auteur, j’y évoquerai Lewis Carroll. On parlera aussi de cinéma, d’Hollywood, et du pouvoir des images. Ce roman sera plus court et plus dense, et je pense moins horrifique que les précédents. Je me suis davantage attaché aux personnages, cette fois. Il me semble être arrivé à un bon équilibre entre philosophie et roman à l’écriture fluide, à l’intrigue prenante. En tout cas, je l’espère.

Nous avons hâte de le lire ! As-tu déjà un autre projet d’écriture ?
Oui. Je fais des recherches et lis la documentation dont j’ai besoin. J’ai déjà une idée du type d’histoire que j’aimerais raconter. J’envisage de nouveaux objectifs et une évolution littéraire. J’ai envie de rédiger de manière toujours plus fluide en conservant la densité du propos, de creuser des scénarios et des personnages.

Vient la fin de cette interview avec une dernière question : quel était le dernier livre que tu as lu ? Nous le conseillerais-tu ?
Il y en a eu deux, en fait, mais ce ne sont pas des romans. Le dernier livre que j’ai lu est Total Recall, la biographie d’Arnold Schwarzenegger. Je la conseille, en effet, elle est très enrichissante. J’ai aussi lu dernièrement un bouquin de développement personnel de Robert T. Kiyosaki intitulé Père riche, père pauvre. Je le conseille vivement aussi.

Merci, Sébastien, d’avoir accepté cet échange très enrichissant. J’espère qu’on se verra très vite pour parler de ton prochain roman ! 
Avec plaisir. Merci, Estelle, d’avoir pris le temps de me lire et de songer à toutes ces questions.


Propos recueillis par Troglodyte onirique



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* Mark Z. Danielewski.

mercredi 11 mai 2016

ChessTomb 

de John Ethan Py (éditions de l’Homme sans nom)


Résumé :
2001, Chesstomb, Massachusetts. Une famille entière est massacrée dans des circonstances étranges. Un homme, Shelby Williams, journaliste d’investigation renommé, est dépêché sur les lieux pour retracer les événements. Mais la ville de Chesstomb n’est paisible qu’en apparence. Plus le chroniqueur s’entête à gratter la surface, plus il déterre de sombres secrets qui n’auraient jamais dû être révélés…


Critique (attention, spoilers) :
Quel rapport entre René Descartes, le philosophe français, et H. P. Lovecraft, l’auteur américain célèbre pour ses récits d’horreur et notamment son mythe de Cthulhu ? Ne cherchez pas plus loin la réponse, elle se trouve dans ChessTomb, le deuxième roman de Sébastien Péguin, alias John Ethan Py.
Ce dernier signe avec ce titre un roman à tiroirs immersif qui plonge ses racines dans le passé sanglant de la fictive ville de Chesstomb. Si la richesse de l’histoire nous perd un peu parfois, à la fin du livre, toutes les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres et l’on comprend mieux les tenants et les aboutissants de l’affaire.
Roman à tiroirs donc, mais également roman à plusieurs voix, qui se compose de différents témoignages archivés : extraits de journaux intimes, de correspondances, d’articles de presse, de retranscriptions écrites d’interviews filmées, etc.
Le livre entier, qui se présente non comme un véritable roman mais comme une mise en forme structurée de documents « authentiques » disparates reliés à la même affaire sordide, offre une mise en abyme littéraire étourdissante qui mêle étroitement les fils de la réalité et de la fiction au point qu’il devient difficile de distinguer le vrai du faux. Mais, si vous avez lu le premier roman de Sébastien Péguin, Le Songe d’Adam, vous savez que c’est là sa marque de fabrique…
John Ethan Py, Salon fantastique, 1er novembre 2014
(© Sébastien Péguin)
Les multiples références (un peu trop explicites, parfois) aux grands auteurs d’épouvante anglo-saxons démontrent que l’écrivain cherche à s’insérer dans la lignée des maîtres du genre. Certes, Sébastien Péguin revisite avec beaucoup d’originalité les thèmes explorés par ses aînés (Le Songe d’Adam rendait, entre autres, hommage à Simetierre, de Stephen King, tandis que ChessTomb est une révérence marquée à H. P. Lovecraft et à son Herbert West, réanimateur), mais on espère qu’il s’affranchira par la suite de ces modèles pour laisser son imaginaire – bien vivace, cela ne fait aucun doute – sortir de l’ombre des grandes figures de la peur.
Pour autant, face à un Sire Cédric qui réutilise les mêmes ficelles de livre en livre et qui semble de moins en moins inspiré, Sébastien Péguin, alias John Ethan Py, apporte une bouffée d’air frais au genre… enfin, un air frais un peu vicié, comme savent le produire les bons épouvanteurs
Alors, Sébastien Péguin, le nouveau masque de l’horreur français ?

lundi 11 avril 2016

Le Diable en gris 

de Graham Masterton (éditions Bragelonne)


Résumé :
Alors que Jerry Maitland pose du papier peint dans la future chambre de bébé, une lame invisible le blesse profondément. Alison, sa conjointe enceinte jusqu’aux yeux, lui donne les premiers secours et appelle une ambulance. Mais quand les secouristes arrivent, la jeune femme a littéralement perdu la tête… et c’est un homme à moitié fou tentant de recoller le chef de son épouse qu’ils découvrent plongé dans un bain de sang.
Les soupçons de la police se tournent automatiquement vers Jerry. Pourtant, l’assassin n’a laissé aucun indice exploitable, et le suspect nie toutes les accusations à son encontre. Sa version des faits est incroyable… mais l’incroyable est parfois l’explication la plus vraisemblable.


Critique (attention, spoilers) :
Âmes sensibles, s’abstenir ! Dans Le Diable en gris, le rideau se lève sur un carnage, et le premier chapitre annonce tout de suite la couleur dominante du roman (le rouge sang, pour être précis…).
Par de nombreux côtés, ce roman fait penser à Sac d’os, de Stephen King. On y retrouve menant l’enquête un homme meurtri assisté par son épouse défunte qui cherche à le protéger depuis l’Autre Monde. On y retrouve aussi la belle femme Noire, charismatique et érotique, mais dangereuse et perfide comme le poison, aux pouvoirs surnaturels démesurés issus d’une magie ancestrale. Et enfin, piquée dans la trame, une remémoration du passé opposant Blancs et Noirs dans une lutte fratricide.
La comparaison peut s’arrêter là, cependant, car là où Sac d’os penche très nettement vers le drame, Le Diable en gris garde un ton résolument léger.
Graham Masterton n’a pas la classe de Stephen King, qui sait si bien mêler divertissement et réflexion sur la nature humaine et la société américaine, ou encore sur les rouages du monde de l’édition et de l’écrivain. Néanmoins, il livre ici une histoire qui devient de plus en plus prenante au fil des pages.
Le Diable en gris nous plonge dans la mythologie afro-américaine et dans les arcanes de la santeria. Moins connue en France que le vaudou, la santeria est une religion païenne fusionnant différentes croyances africaines et qui s’est développée sur le Nouveau Continent avec l’arrivée des esclaves. Ces derniers, ayant pour interdiction de s’adonner à leurs croyances ancestrales, ont continué d’adorer leurs dieux en leur prêtant des noms de saints chrétiens et en calant leurs rituels sur les dates des fêtes catholiques, d’où le nom de santeria, mot signifiant « sainteté » en espagnol.
Mais Le Diable en gris a aussi pour mérite d’évoquer la guerre de Sécession. L’histoire se déroulant de nos jours dans l’État de Virginie, à Richmond, ancienne capitale des Confédérés, elle retrace tout particulièrement le point de vue des sudistes, ce qui change de l’éclairage traditionnel des nordistes, les gentils consacrés par l’histoire. Est-ce parce que Graham Masterton est écossais et non américain qu’il peut se permettre un tel recul ? C’est en tout cas rafraîchissant de ne pas sombrer dans le parti pris des grands vainqueurs de la guerre de Sécession, même si l’auteur ne remet pas en cause le bienfondé de l’abolition de l’esclavage.
En bref, Le Diable en gris est un roman bien ficelé (malgré quelques ficelles un tantinet trop grosses) et bien documenté, mêlant agréablement magie ancestrale et histoire sanglante d’une nation. Si vous aimez le surnaturel, que vous avez le cœur bien accroché et que les scènes de sexe crues ne vous font pas peur, foncez. Si la vue du sang vous fait tourner de l’œil, prenez un autre livre. Graham Masterton a juré de vous soulever le cœur, et vous n’aimeriez certainement pas salir votre fauteuil préféré…

mercredi 10 février 2016

L’Archipel des Numinées

trilogie regroupant les tomes Arachnae, Cytheriae et Matricia

de Charlotte Bousquet (éditions Mnémos)


Résumé :
Arachnae, Cytheriae, Matricia… trois principautés de l’Archipel des Numinées, où le faste côtoie le sordide, où la beauté et l’innocence sont jetées en pâture au vice et à la débauche. Trois cités-États placées sous le joug de la Triple Déesse et en proie à un mal qui se répand, pernicieux : Kebahil. Plus ancien que les créatures monstrueuses qui sillonnent l’Archipel. Plus puissant que les Moires, ces incarnations terrestres de la Triple Déesse. Plus noir que les plus sombres secrets des hommes.
Se jouant aussi bien des humains que des démons ordinaires, Kebahil tire les ficelles de ceux qu’il corrompt, tristes marionnettes au service de son terrible dessein : détruire l’Archipel, asservir l’humanité, renverser celle qui, dans tous les Numinées, tisse la trame du Destin…
Une lutte sans merci s’engage, dont l’issue est incertaine. Dans cette guerre contre le Mal, chaque victoire est accompagnée d’un prix… mais celui de la défaite serait encore plus élevé.



Critique (attention, spoilers) :
En écrivant L’Archipel des Numinées, Charlotte Bousquet n’en était pas à son coup d’essai. Mais cette trilogie aux tomes indépendants est la pièce maîtresse qui l’a fait connaître du grand public. Cytheriae, le deuxième tome de cette saga, a d’ailleurs reçu deux prix : le prix Elbakin 2010 (meilleur roman français) et le prix Imaginales 2011 (meilleur roman francophone).
L’Archipel des Numinées se caractérise par un savant mélange de fantasy, d’horreur et de polar qui donne naissance à une œuvre de dark fantasy à l’univers empli de ténèbres incroyablement riche et dense.
Charlotte Bousquet fait sans vergogne de nombreux emprunts aux contes folkloriques, aux classiques de la littérature, à l’histoire (son archipel est le jumeau des cités-États de la Renaissance italienne et fait souvent écho à une Antiquité proche de la nôtre), aux mythes et à la mythologie. On reconnaîtra : Blanche-Neige, La Belle et la Bête, Le Tartuffe de Molière, le Dr. Frankenstein, le minotaure,… et beaucoup d’autres encore ! Cette pluralité des hommages, des références et des clins d’œil forme un tout cohérent, unique et novateur. Le récit est d’ailleurs lui-même entrecoupé d’extraits de documents officiels (pièces de théâtre, articles de presse, extraits de romans, sonnets, recueils de poésie...), souvent influencés par des œuvres réelles, qui donnent une vraie profondeur à l’histoire et créent une mise en abyme littéraire.
La narration est rarement linéaire, car elle multiplie les points de vue. Charlotte Bousquet ne raconte pas l’histoire d’un personnage, elle tire les fils de dizaines d’existences qui s’entrecroisent. L’auteure prend le pouls de toute une ville, d’un chapelet d’îles, d’un organisme vivant composé d’autant d’organes et de cellules qu’il comprend d’habitants. Dans cet univers, les protagonistes ne sont pas seulement rois et guerriers, ils sont aussi courtisane, prostituée, écrivain public, journaliste, nécromancien, commis… les personnages secondaires sont difficiles à distinguer des principaux tant ils sont léchés. Chacun a son rôle dans la trame de la destinée, chacun s’insère dans le passé, le présent et l’avenir des différentes cités où se déroule l’action.
La quête de la liberté et la question du libre arbitre sont omniprésentes. Des bas-fonds aux palais, les enjeux politiques se mêlent aux intérêts personnels. La rouerie, la mesquinerie, la traîtrise s’opposent à la vertu, la bonté, la justice. Le mal y est souvent réfléchi, conscient, cultivé, banal et quotidien, mais il est aussi instrumentalisé, manipulé par celui qui représente le Mal à l’état pur : Kebahil. Le bestiaire de L’Archipel des Numinées n’est d’ailleurs pas celui, classique, de la fantasy. Orques, trolls et fées ont laissé la place aux monstres de la littérature gothique et fantastique : stryges, lamias, démons, créatures hybrides… ce peuple macabre et délétère vit en marge de la société, dévore parfois un être humain, un innocent, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Hommes et femmes, qui se drapent dans leur humanité, sont souvent bien plus répugnants, plus démoniaques envers leur propre espèce.
Heureusement, à coté des amours trop souvent malheureuses ou à la fin tragique, quelques véritables liens de tendresse et d’amitié se créent, non éphémères, ceux-ci, dénotant un certain optimisme en dépit du cynisme des intrigues. Les espérances ne sont pas toujours déçues, la vertu, même souillée, n’est pas toujours anéantie sous la détresse, la peur ou la folie. Le sexe est trop souvent corrompu, dévoyé, ou il sert à manœuvrer, mais il peut aussi être tendre et désintéressé, considéré comme une planche de salut. La violence et le crime ne sont pas toujours ce qu’il reste à la fin, même s’ils ne seront jamais complètement étouffés.
Si la fantasy nous endort parfois par son ronron, certes agréable, mais un peu trop confortable, L’Archipel des Numinées nous réveille par son originalité, son souci du détail, son style exigeant, sa plume vive et élégante, ses intrigues complexes aux ressorts multiples, ses décors luxueux et croupissants… et surtout sa palette de personnages tourmentés, ambigus, tour à tour pitoyables, grotesques, émouvants ou terrifiants.
D’une certaine manière, Arachnae, Cytheriae et Matricia sont les trois visages de la Triple Déesse. Ils sont en tout cas les panneaux d’un triptyque haut en couleur et en émotion, unis par un fil conducteur commun et une réflexion sur le destin, le libre arbitre, et la manière de concilier les deux pour élaborer ce qu’on appelle simplement la liberté.
Plongez sans réserve dans cet univers âpre et auréolé de mystère, dans ce voyage au cœur de la noirceur humaine. Méfiez-vous cependant : vous ne remonterez peut-être jamais à la surface. Vous ne serez peut-être plus jamais le même…

Note :
Ne vous laissez pas duper par le parti pris éditorial de Mnémos de ne pas numéroter les tomes. Certes, les trois peuvent se lire indépendamment, et donc dans le désordre. Mais ils suivent quand même une certaine logique chronologique, et il serait dommage de ne pas la respecter si vous comptez lire l’ensemble (ce que je ne vous conseillerai jamais assez).
Voici cet ordre chronologique, qui suit d’ailleurs l’ordre de parution :
- Arachnae
- Cytheriae
- Matricia
Quelques éléments, insérés à la fin des romans de poche Cytheriae et Matricia, font référence à des personnages des opus précédents, mais à des périodes antérieures aux récits principaux. Je pense que ce sont des ajouts ultérieurs de Mnémos, Charlotte Bousquet écrivant régulièrement des nouvelles dans l’univers de L’Archipel des Numinées qu’elle publie directement sur Internet ou au gré d’anthologies. En dépit de leur qualité intrinsèque, j’ai trouvé la présence de ces nouvelles, dans ces romans, assez discutable, car il leur manque une transition, apparaissant ainsi comme de simples chapitres qui tombent comme un cheveu sur la soupe. Il faut probablement les voir comme un bonus de la version poche, même si elles seraient mieux mises en valeur dans un recueil entier regroupant toutes les nouvelles de L’Archipel des Numinées


samedi 2 janvier 2016

Star Wars
... ou quand la science-fiction et la fantasy se rencontrent et donnent naissance au
space opera

        Le 16 décembre 2015 sortait en France le très attendu Star Wars VII : Le Réveil de la Force. Plutôt que d’ajouter à la polémique lancée par George Lucas qui s’est dit déçu par ce nouvel opus, profitons-en pour nous interroger sur le genre et le sous-genre auxquels appartient la saga la plus populaire des temps modernes…
        Nous avons vu, dans notre article De la fantasy, du fantastique et du merveilleux, les particularités de ces trois genres, même si leurs frontières sont souvent floues ou poreuses (facilitant l’enchevêtrement des genres… et leur confusion). À présent, nous allons comparer la fantasy à un autre genre appartenant aux littératures de l’imaginaire : la science-fiction. À première vue, la distinction est aisée : l’une observe volontiers le passé tandis que l’autre est résolument tournée vers l’avenir.
        Bien sûr, on connaît le cas de la science-fantasy, dont Anne McCaffrey, avec son Cycle de Pern, est perçue comme l’un des chefs de file. La science-fantasy mélange des éléments de science-fiction (souvent une technologie très avancée ainsi qu’un cadre d’action se déroulant dans l’espace), et des éléments de fantasy (un système magique, ne reposant pas sur des bases scientifiques, ou un bestiaire relevant clairement de la fantasy, comme les dragons).
        Mais nous allons plutôt nous intéresser à un autre sous-genre de la S-F, le space opera, dont le représentant le plus connu est la saga Star Wars, bien que d’autres œuvres issues de ce sous-genre aient acquis une forte renommée, comme Dune de Frank Herbert (roman publié en 1965 aux États-Unis) ou encore les innombrables productions cross-médias Star Trek.
        Le space opera n’est pas né de l’imagination fertile de George Lucas. Officiellement, ce sous-genre est identifié dès les années 40 (mais il avait déjà fait des petits bien avant). L’expression a été inventée en 1941 par l’écrivain américain Wilson Tucker. Elle est issue de la fusion entre le soap opera, un terme désignant « les feuilletons radiophoniques à destination des ménagères souvent sponsorisés par des marques de lessive (1) », et l’espace (« space »), thème principal du space opera (littéralement « opéra de savon »). Vous l’aurez compris, Tucker ne portait pas dans son cœur les productions des années 30 qu’il catégorisait ainsi. Il faut dire qu’elles étaient alors très stéréotypées, mettant toujours en scène « des récits d’aventure et d’action se déroulant dans l’espace interstellaire et comportant une inévitable intrigue amoureuse sur fond de conflits avec des races extraterrestres (2) ».
        Avec le temps, le space opera a cependant évolué, gagnant en profondeur, tout en gardant ses caractéristiques de fiction à fort potentiel d’évasion.
        Le space opera partage ainsi de nombreux points communs avec la fantasy, en dépit de son attachement à la grande famille de la science-fiction. C’est pourquoi, pour éclairer notre propos, nous allons comparer deux œuvres, l’une attribuée à la fantasy, plus précisément à la fantasy épique, L’Assassin royal de Robin Hobb, et l’autre au space opera, Star Wars de George Lucas, pour mieux comprendre ce qui les rapproche.
        L’Assassin royal est un cycle de fantasy. Il pince les cordes du merveilleux (défini par Michel Jarrety comme reposant « sur l’acceptation immédiatement donnée d’un surnaturel qui ne suscite aucune surprise (3) ») en mettant en place un univers fictif dit « secondaire », c’est-à-dire un univers différent du nôtre (le monde alors dit « primaire »), fondé sur un système de magie cohérent et sur ses propres « lois naturelles (4) ». En effet, L’Assassin royal est la quête initiatique de Fitz, un bâtard royal doué du Vif et de l’Art, deux dons magiques, l’un populaire et avili, l’autre noble et recherché, parfaitement connus dans le royaume des Six-Duchés où se déroule l’action. Comme de nombreuses œuvres de fantasy (bien que ce ne soit pas une caractéristique fondamentale du genre), la trame de L’Assassin royal s’ancre dans un monde médiévalisant.
        Star Wars est en revanche une saga (originellement cinématographique mais qui a depuis longtemps dépassé ce cadre « étriqué ») de science-fiction, classée dans le sous-genre du space opera. Ainsi, Star Wars se caractérise, à l’instar des premières œuvres de space opera comme Le Cycle de Mars regroupant les aventures du héros John Carter, d’Edgar Rice Burroughs (aussi le créateur de Tarzan), par une intrigue se déroulant dans l’immensité spatiale, à l’échelle interplanétaire, et jouant sur les codes du western, du roman d’aventure et des récits de voyage (batailles épiques, duels, exotisme des paysages, des populations et des mœurs…).
        Bien que Star Wars ne tende pas vers un réalisme très poussé comme d’autres œuvres de space opera, il est clairement affiché que les différents peuples maillant cette « galaxie lointaine » bénéficient d’une technologie plus avancée que la nôtre (ainsi que le prouvent, entre autres, les vaisseaux spatiaux et les armements laser). C’est essentiellement pour cette raison que Star Wars se classe en science-fiction, et non en fantasy. 


        Néanmoins, si l’on y regarde de plus près, la frontière entre L’Assassin royal et Star Wars est très poreuse, comme peut l’être la ligne de démarcation entre fantasy et space opera. Dans la mesure où le space opera fait intervenir des planètes différentes de la Terre, inconnues de notre Voie Lactée, il semble logique que ces astres puissent répondre à des « lois naturelles » différentes de celles de notre monde, ce qui a pour effet de brouiller le cadre du merveilleux.
        Prenons l’exemple de la pesanteur. Celle de la Terre (qu’on peut définir comme faisant partie de nos lois naturelles) est six fois plus importante que celle de la Lune. Si cette dernière, qui appartient à notre système solaire, présente des lois naturelles différentes de la Terre, on peut imaginer que l’espace infini offre des possibilités encore plus extraordinaires et introuvables sur notre planète. La Force, si présente dans Star Wars et qui, avouons-le, revêt toutes les apparences d’un système magique, donc d’un élément merveilleux qui pourrait apparenter l’œuvre à la fantasy, sera ainsi plutôt perçue comme une hypothèse possible (à défaut d’être probable) sur le plan scientifique.
        Le space opera est donc un sous-genre de la science-fiction accessible à tous grâce à son souffle épique et son goût prononcé pour l’aventure, que l’on retrouve beaucoup dans la fantasy. Il peut être un bon compromis pour les passionnés de cette dernière peu accoutumés à la S-F mais qui souhaitent s’y essayer sans se sentir trop « dépaysés ». Et cela tombe bien, pour ceux (sans doute assez rares) qui ne connaissent pas encore La Guerre des étoiles, vous pouvez d’ores et déjà vous initier en fonçant dans les salles obscures : Star Wars VII : Le Réveil de la Force vous y attend. Quant aux autres… eh bien, ce n’est pas parce que vous êtes un spécialiste du space opera qu’il faut vous priver de ce plaisir !
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(1) Jacques Baudou, La Science-fiction, Paris, PUF, 2003, p. 30.
(2) Ibid., p. 30.
(3) Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 263.
(4) Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Points, 1970, p. 29.