Bienvenue sur ces rivages oniriques !

Bienvenue sur ces rivages oniriques !

Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

mercredi 10 février 2016

L’Archipel des Numinées

trilogie regroupant les tomes Arachnae, Cytheriae et Matricia

de Charlotte Bousquet (éditions Mnémos)


Résumé :
Arachnae, Cytheriae, Matricia… trois principautés de l’Archipel des Numinées, où le faste côtoie le sordide, où la beauté et l’innocence sont jetées en pâture au vice et à la débauche. Trois cités-États placées sous le joug de la Triple Déesse et en proie à un mal qui se répand, pernicieux : Kebahil. Plus ancien que les créatures monstrueuses qui sillonnent l’Archipel. Plus puissant que les Moires, ces incarnations terrestres de la Triple Déesse. Plus noir que les plus sombres secrets des hommes.
Se jouant aussi bien des humains que des démons ordinaires, Kebahil tire les ficelles de ceux qu’il corrompt, tristes marionnettes au service de son terrible dessein : détruire l’Archipel, asservir l’humanité, renverser celle qui, dans tous les Numinées, tisse la trame du Destin…
Une lutte sans merci s’engage, dont l’issue est incertaine. Dans cette guerre contre le Mal, chaque victoire est accompagnée d’un prix… mais celui de la défaite serait encore plus élevé.



Critique (attention, spoilers) :
En écrivant L’Archipel des Numinées, Charlotte Bousquet n’en était pas à son coup d’essai. Mais cette trilogie aux tomes indépendants est la pièce maîtresse qui l’a fait connaître du grand public. Cytheriae, le deuxième tome de cette saga, a d’ailleurs reçu deux prix : le prix Elbakin 2010 (meilleur roman français) et le prix Imaginales 2011 (meilleur roman francophone).
L’Archipel des Numinées se caractérise par un savant mélange de fantasy, d’horreur et de polar qui donne naissance à une œuvre de dark fantasy à l’univers empli de ténèbres incroyablement riche et dense.
Charlotte Bousquet fait sans vergogne de nombreux emprunts aux contes folkloriques, aux classiques de la littérature, à l’histoire (son archipel est le jumeau des cités-États de la Renaissance italienne et fait souvent écho à une Antiquité proche de la nôtre), aux mythes et à la mythologie. On reconnaîtra : Blanche-Neige, La Belle et la Bête, Le Tartuffe de Molière, le Dr. Frankenstein, le minotaure,… et beaucoup d’autres encore ! Cette pluralité des hommages, des références et des clins d’œil forme un tout cohérent, unique et novateur. Le récit est d’ailleurs lui-même entrecoupé d’extraits de documents officiels (pièces de théâtre, articles de presse, extraits de romans, sonnets, recueils de poésie...), souvent influencés par des œuvres réelles, qui donnent une vraie profondeur à l’histoire et créent une mise en abyme littéraire.
La narration est rarement linéaire, car elle multiplie les points de vue. Charlotte Bousquet ne raconte pas l’histoire d’un personnage, elle tire les fils de dizaines d’existences qui s’entrecroisent. L’auteure prend le pouls de toute une ville, d’un chapelet d’îles, d’un organisme vivant composé d’autant d’organes et de cellules qu’il comprend d’habitants. Dans cet univers, les protagonistes ne sont pas seulement rois et guerriers, ils sont aussi courtisane, prostituée, écrivain public, journaliste, nécromancien, commis… les personnages secondaires sont difficiles à distinguer des principaux tant ils sont léchés. Chacun a son rôle dans la trame de la destinée, chacun s’insère dans le passé, le présent et l’avenir des différentes cités où se déroule l’action.
La quête de la liberté et la question du libre arbitre sont omniprésentes. Des bas-fonds aux palais, les enjeux politiques se mêlent aux intérêts personnels. La rouerie, la mesquinerie, la traîtrise s’opposent à la vertu, la bonté, la justice. Le mal y est souvent réfléchi, conscient, cultivé, banal et quotidien, mais il est aussi instrumentalisé, manipulé par celui qui représente le Mal à l’état pur : Kebahil. Le bestiaire de L’Archipel des Numinées n’est d’ailleurs pas celui, classique, de la fantasy. Orques, trolls et fées ont laissé la place aux monstres de la littérature gothique et fantastique : stryges, lamias, démons, créatures hybrides… ce peuple macabre et délétère vit en marge de la société, dévore parfois un être humain, un innocent, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Hommes et femmes, qui se drapent dans leur humanité, sont souvent bien plus répugnants, plus démoniaques envers leur propre espèce.
Heureusement, à coté des amours trop souvent malheureuses ou à la fin tragique, quelques véritables liens de tendresse et d’amitié se créent, non éphémères, ceux-ci, dénotant un certain optimisme en dépit du cynisme des intrigues. Les espérances ne sont pas toujours déçues, la vertu, même souillée, n’est pas toujours anéantie sous la détresse, la peur ou la folie. Le sexe est trop souvent corrompu, dévoyé, ou il sert à manœuvrer, mais il peut aussi être tendre et désintéressé, considéré comme une planche de salut. La violence et le crime ne sont pas toujours ce qu’il reste à la fin, même s’ils ne seront jamais complètement étouffés.
Si la fantasy nous endort parfois par son ronron, certes agréable, mais un peu trop confortable, L’Archipel des Numinées nous réveille par son originalité, son souci du détail, son style exigeant, sa plume vive et élégante, ses intrigues complexes aux ressorts multiples, ses décors luxueux et croupissants… et surtout sa palette de personnages tourmentés, ambigus, tour à tour pitoyables, grotesques, émouvants ou terrifiants.
D’une certaine manière, Arachnae, Cytheriae et Matricia sont les trois visages de la Triple Déesse. Ils sont en tout cas les panneaux d’un triptyque haut en couleur et en émotion, unis par un fil conducteur commun et une réflexion sur le destin, le libre arbitre, et la manière de concilier les deux pour élaborer ce qu’on appelle simplement la liberté.
Plongez sans réserve dans cet univers âpre et auréolé de mystère, dans ce voyage au cœur de la noirceur humaine. Méfiez-vous cependant : vous ne remonterez peut-être jamais à la surface. Vous ne serez peut-être plus jamais le même…

Note :
Ne vous laissez pas duper par le parti pris éditorial de Mnémos de ne pas numéroter les tomes. Certes, les trois peuvent se lire indépendamment, et donc dans le désordre. Mais ils suivent quand même une certaine logique chronologique, et il serait dommage de ne pas la respecter si vous comptez lire l’ensemble (ce que je ne vous conseillerai jamais assez).
Voici cet ordre chronologique, qui suit d’ailleurs l’ordre de parution :
- Arachnae
- Cytheriae
- Matricia
Quelques éléments, insérés à la fin des romans de poche Cytheriae et Matricia, font référence à des personnages des opus précédents, mais à des périodes antérieures aux récits principaux. Je pense que ce sont des ajouts ultérieurs de Mnémos, Charlotte Bousquet écrivant régulièrement des nouvelles dans l’univers de L’Archipel des Numinées qu’elle publie directement sur Internet ou au gré d’anthologies. En dépit de leur qualité intrinsèque, j’ai trouvé la présence de ces nouvelles, dans ces romans, assez discutable, car il leur manque une transition, apparaissant ainsi comme de simples chapitres qui tombent comme un cheveu sur la soupe. Il faut probablement les voir comme un bonus de la version poche, même si elles seraient mieux mises en valeur dans un recueil entier regroupant toutes les nouvelles de L’Archipel des Numinées