Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

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dimanche 30 octobre 2016

La Séquestrée 

de Charlotte Perkins Gilman (éditions Libretto) 

 

Résumé : 
Pour la guérir de sa dépression, un médecin contraint son épouse, jeune mère de famille sensible et passionnée, à une cure de repos drastique. Mais l’isolement et l’oisiveté ne présentent pas le succès escompté…


Critique (attention, spoilers) :
Grande figure de la société américaine du xixe et du xxe siècle, Charlotte Perkins Gilman, née en 1860, a publié La Séquestrée en 1890.
Cette courte nouvelle dresse le portrait d’une femme frustrée, obligée par son entourage à refouler toute émotion, toute ambition propre, pour se conformer aux exigences d’une société faite pour et par les hommes. Sans cesse rabrouée et réfrénée par ses proches – qui n’opposent à son mal-être qu’une indifférence dédaigneuse –, fortement marquée par l’oisiveté et la solitude, la narratrice a pour seule compagnie ses idées noires, et elle ne trouvera d’échappatoire que dans la folie.
Évoquée dans un épisode de la première saison d’American Horror Story, La Séquestrée (The Yellow Wallpaper, en anglais) – de même que son auteure – gagnerait à être mieux connue en France.
Tout en faisant penser aux récits fantastiques de Guy de Maupassant (notamment au Horla) et aux Contes macabres d’Edgar Allan Poe, cette nouvelle s’éloigne de ces histoires courtes, non par son style ou les faits qu’elle relate, mais par le message sous-jacent de son auteure. En effet, dans La Séquestrée, le fantastique n’est qu’une apparence, car peu d’ambiguïté plane sur la santé mentale de la narratrice, qui voit dans le papier peint de sa chambre une femme retenue prisonnière. Sous la plume de Charlotte Perkins Gilman, il ne fait aucun doute que cette vision n’est que le délire de l’héroïne dont l’esprit s’est libéré des entraves de la société en choisissant la démence.
Et si l’auteure sait si bien décrire la folie naissante, c’est qu’elle a elle-même flirté avec pendant plusieurs années…
L’édition Libretto peut paraître un peu chère vu l’épaisseur du livre, mais elle a le mérite de se terminer par une biographie de l’auteure qui permet de mieux comprendre son œuvre et le contexte dans lequel elle l’a écrite, car La Séquestrée est en grande partie autobiographique.
Abandonnée par son père et élevée par une mère castratrice, Charlotte s’est mariée en 1884 par respect des convenances. Mais elle vit mal ce mariage. Profondément frustrée de devoir se soumettre à l’autorité masculine que représente son époux, elle souffre en outre, après son accouchement, d’une sévère dépression.
Trois ans avant de songer à écrire La Séquestrée, Charlotte demande conseil à un célèbre neurologue qui lui prescrit une cure de repos drastique, l’enjoignant de ne plus s’adonner à aucune activité intellectuelle. Mais, au bout de plusieurs mois de ce traitement, l’état de Charlotte empire, et la jeune femme se sent si près de basculer dans la démence qu’elle reprend le travail. C’est en se remettant à écrire qu’elle réussit à sortir du marasme dans lequel elle a été à deux doigts de sombrer.
À la suite de cette mauvaise expérience, Charlotte divorce et gagne son indépendance en donnant de nombreuses conférences qui exportent son nom au-delà des frontières américaines. Ses vues sur le divorce, les droits parentaux et ceux des enfants, sont largement en avance sur son temps.
Pionnière, Charlotte le reste jusqu’au jour de sa mort. Atteinte d’un cancer du sein incurable, elle se suicide en 1935, alors qu’elle est en phase terminale de la maladie. Une fois de plus, elle défend ainsi une cause qui lui est chère : le droit pour tous de mourir dignement.
Mais Charlotte a surtout été retenue par la postérité comme une féministe engagée. Elle n’a, dans ses œuvres, cessé de dénoncer l’hégémonie masculine et la condition des femmes de son époque. Ces dernières, prisonnières du carcan social, du foyer et des tâches ménagères, n’avaient alors pour autre destinée que celle de soutenir leur mari et de devenir mère d’homme. Cette écrivaine talentueuse leur a ouvert une autre voie.
Charlotte Perkins Gilman était un être exceptionnel, qui a su renverser les obstacles, malgré les préjugés, pour s’affranchir de sa condition et participer à élever les femmes au même niveau que les hommes. La Séquestrée condense tout ce que l’écrivaine a connu de plus phallocrate, s’inspirant d’un vécu subi et douloureux. C’est un magnifique témoignage de l’époque victorienne, bouleversant de vérité. Un récit réaliste engagé qui sonne comme une œuvre fantastique sans en être véritablement une…

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