Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

mercredi 26 août 2015

Shining 
film réalisé par Stanley Kubrick et minisérie réalisée par Mick Garris,
d’après le roman de Stephen King

Résumé :
L’hiver arrive. Comme tous les ans, l’Overlook va fermer ses portes : durant la morte saison, le prestigieux hôtel est assiégé par la neige qui bloque les routes et l’isole totalement. Alors que le personnel déserte le bâtiment, Jack Torrance, qui vient de quitter sa charge de professeur, s’y voit proposer le poste de gardien. C’est l’emploi idéal pour cet écrivain en panne d’inspiration qui recherche un environnement calme et des horaires adaptables afin de se consacrer à l’écriture.
Jack, sa femme, Wendy, et leur jeune fils, Danny, s’installent dans l’Overlook dont ils seront les seuls résidents jusqu’au printemps. Mais le cadre idyllique ne tarde pas à devenir inquiétant. Car, depuis sa construction, le luxueux hôtel est le théâtre d’événements tragiques et violents qui ne cessent de le façonner.
Très vite, Danny ressent les présences qui emplissent l’Overlook. Pire. Jack les ressent aussi. Il les voit. Elles lui murmurent à l’oreille. Et il les écoute.
Avec toujours plus d’attention.

Critique (attention, spoilers) :
C’est à partir de ce matériau de départ que Stanley Kubrick et Mick Garris ont chacun modelé leur adaptation, leur donnant une forme très différente l’une de l’autre.
Mais, avant d’aller plus loin, revenons sur la genèse de ces deux projets.
Shining est avant tout un roman de Stephen King publié en 1977 aux États-Unis et en 1979 en France.
En 1980, le film de Stanley Kubrick sort à l’écran. Bien que Stephen King reconnaisse apprécier ce long-métrage en tant que tel, l’écrivain est furieux contre le réalisateur qui a coécrit le scénario avec l’aide d’une autre romancière, Diane Johnson, dans un esprit très différent de celui de son livre. L’auteur n’a alors de cesse de critiquer la version de Kubrick jusqu’à ce que celui-ci lui accorde l’autorisation (eh oui, le droit d’auteur peut être retors, parfois !) de superviser sa propre mouture. C’est ainsi que sort, en 1997 aux États-Unis, la minisérie Shining.
Certes, la réaction de Stephen King peut sembler trop véhémente, mais il faut bien avouer que le film de Kubrick prend de très grandes libertés avec le roman dont il s’est inspiré, rendant l’histoire et les personnages quasi méconnaissables. On peut comprendre que l’ego de l’écrivain ait pu s’en trouver froissé…

L’atout principal de la série est sans conteste qu’elle respecte à la lettre l’histoire du livre (un excellent roman, précisons-le pour ceux qui ne l’ont pas encore lu) et les différentes scènes qui le composent. Surtout, on y retrouve les personnages tels qu’imaginés par Stephen King, dans toute leur complexité et leur richesse psychologique. Wendy est en effet loin d’être aussi passive et effacée que dans le film : elle atterrit à l’Overlook pour donner une seconde chance à son époux, et non par soumission comme dans la version de Kubrick. Cette différence de comportement se sent tout au long de la série, et aboutit à de profonds changements par rapport au film.
Mais le personnage qui oppose radicalement le film et la série est bien sûr Jack, que Kubrick a totalement remanié. Dans son adaptation, le personnage de Jack (joué par son homonyme Nicholson) est un véritable psychopathe, et ce dès les premières minutes de film : sa folie tyrannique se décèle déjà dans ses traits figés (ses sourcils en circonflexe, notamment), ses mimiques et ses rictus qui expriment une violence latente et mal dissimulée.
Tandis que la série, en adaptation fidèle du roman, dessine un portrait psychologique de Jack moins flamboyant mais d’une certaine façon plus réaliste. Jack (joué par Steven Weber) est un homme à la dérive, mari et père de famille aimant en proie à l’alcoolisme qu’il combat avec acharnement. Cet alcoolisme, c’est le talon d’Achille dans lequel Pâris plante sa flèche, c’est le levier que les fantômes de l’Overlook utilisent pour pousser Jack à attaquer sa famille. Là où Jack/Nicholson résiste peu, voire pas du tout, Jack/Weber lutte de toutes ses forces, par amour pour sa famille, contre l’influence néfaste de l’hôtel, amenant le spectateur à s’impliquer émotionnellement dans ce personnage. Ainsi, la série porte le même message édifiant sur l’alcoolisme que le roman, message fortement édulcoré dans l’œuvre de Kubrick.
Malgré certains effets spéciaux qui piquent un peu les yeux (comme les sculptures de buis qui prennent vie) et un emploi parfois assez classique des codes des ghost stories, la série nous emporte avec succès dans la descente aux enfers de la famille Torrance. La production réalisée par Mick Garris et chapeautée par Stephen King est une histoire d’horreur efficace qui comprend quelques scènes tout simplement terrifiantes. Néanmoins, sa filiation au roman est trop clairement affichée pour apporter un éclairage nouveau sur l’œuvre de l’écrivain.

Le film de Stanley Kubrick présente quant à lui, au premier abord, un scénario moins complexe. Mais c’est sa mise en scène, portée par le sens du détail et de la symbolique du réalisateur, qui en fait tout le charme. Là où la série est très explicative, le long-métrage suggère plutôt diverses grilles de lecture sans affirmer quoi que ce soit (un parti pris récurrent chez Kubrick, comme en atteste 2001 : l’odyssée de l’espace).
Dans cette version, le personnage de Jack est volontairement déshumanisé pour se rapprocher du minotaure de la mythologie grecque. Nicholson affecte à la perfection la brutalité de cet être mi-homme mi-taureau par son jeu alternant postures farouches et charges furieuses. L’analogie est bien sûr renforcée par le labyrinthe de buis (dont on trouve une reproduction miniature dans l’hôtel, pour en souligner l’effet) et par le dédale de pièces et de couloirs que forme l’Overlook lui-même.
Cette symbolique du labyrinthe est totalement absente du roman et fait partie des éléments inventés par Kubrick. Ce dernier a, par ce détail et bien d’autres, créé une adaptation surprenante et totalement personnelle du roman. Il s’est d’ailleurs si bien approprié l’œuvre d’origine que son créateur, Stephen King, ne l’a pas reconnue.
Mais, après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller le débat… et d’être revue et remaniée pour acquérir un jour, peut-être, le statut de mythe.
Un statut qui finit toujours par dépasser son ancre d’origine.

Vous l’aurez compris, le film et la série sont deux adaptations très dissemblables. Faut-il pour autant choisir l’un plutôt que l’autre ? Est-ce vraiment trahir Stephen King que d’apprécier le long-métrage ? Est-ce nier le statut de chef-d’œuvre qu’a acquis le film de Kubrick que de louer les qualités de la série ? Ou ne serait-il pas dommage de choisir un camp, quand chacune de ces deux adaptations a ses qualités propres ?


Note :
Si vous souhaitez découvrir d’autres pistes de lecture du film de Kubrick, je ne saurais trop vous conseiller de visionner Room 237. Ce documentaire non officiel réalisé par Rodney Ascher, et sorti en 2012 aux États-Unis, propose diverses interprétations du long-métrage. Certaines des théories qui y sont présentées paraissent tirées par les cheveux, et d’autres plutôt dignes d’intérêt, bien qu’elles n’aient jamais été validées par le réalisateur. À chacun de juger. Après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller le débat…