Bienvenue sur ces rivages oniriques !

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Rivages oniriques est un blog consacré aux cultures de l’Imaginaire (fantasy, fantastique, science-fiction) et aux cultures de genre (historique, thriller, épouvante…).

Vous y trouverez donc de nombreuses chroniques littéraires, mais aussi des critiques de films, de séries télévisées, d’expositions… et bien d’autres choses encore, toutes liées, de près ou de loin, à ces genres qui nous font rêver, vibrer, cauchemarder, et nous aventurer loin du territoire familier de notre quotidien.

Nous espérons que vous serez nombreux à nous rendre visite.

Et, surtout, n’hésitez pas à laisser une trace de votre passage, à donner vous-mêmes vos avis ou vos conseils de lecture, de visionnage, d’écoute ou d’incursion…

Très bonne visite !

dimanche 23 novembre 2014

Le Tour d’écrou
de Henry James (éditions Flammarion)

Résumé :
Par une sombre soirée d’hiver, quelques gentilshommes se rassemblent pour partager des histoires étranges et sinistres. L’un d’eux, Douglas, évoque, plusieurs décennies après les faits, la terrifiante aventure qu’a vécue dans sa jeunesse une institutrice. Devant ce petit cercle intime, il lit le récit écrit de la main même de l’enseignante qui, à l’âge de 20 ans, fut engagée pour instruire, dans une jolie demeure de campagne, deux enfants, frère et sœur, aussi brillants qu’adorables. Mais dans ce cadre idyllique étaient terrés de terribles secrets qui ont à jamais changé la vie de la préceptrice.
Si une aventure morbide survient à un enfant plutôt qu’à un adulte, cela donne un tour de vis au frisson. Mais si une aventure morbide survient à deux enfants plutôt qu’à un adulte, cela ne donnerait-il pas un tour supplémentaire ?


Critique (attention, spoilers) :
Chaudement recommandé par Stephen King qui loue « son style élégant et posé, sa logique psychologique irréprochable (1) », Le Tour d’écrou est une ghost story oppressante qui s’écarte des récits du genre par son écriture intimiste et le développement psychologique du personnage principal. Mais c’est aussi un huis clos au charme suranné qui démarre très lentement et dont le style, formé de phrases longues et parfois alambiquées, est assez ardu pour le lecteur moderne, qui n’est plus vraiment habitué à ces tournures d’un ancien temps.
Le Tour d’écrou se construit autour d’une montée en pression progressive, rythmée par des apparitions spectrales, les anciens instructeurs des enfants, qui poussent la narratrice (qui est apparemment seule à les voir) à s’interroger et à exhumer les secrets de la maisonnée avec l’aide craintive d’une intendante, Mrs Grose.
Fans de gore, passez votre chemin. Dans cette nouvelle publiée pour la première fois en 1898, aucune scène n’est visuellement insoutenable, grossière ou vulgaire. Le mal qui rôde dans la vieille bâtisse n’est jamais clairement défini et reste à la lisière de la perception. À tel point que l’on se demande si les fantômes décrits par la narratrice sont bien réels, ou s’ils ne sont que le fruit de son imagination morbide et romanesque.
D’ailleurs, que font-ils exactement, ces fantômes ? Pas grand-chose en réalité. Ils ne font qu’être là et observer. Mais le poids de leur regard exacerbe le trouble de la narratrice jusqu’à l’hystérie. La préceptrice se met alors elle-même à examiner la maisonnée, le parc, la tour, à scruter les deux enfants dont elle a la charge pour déterminer s’ils voient aussi, comme elle le pense, les deux âmes corruptrices, ce qu’elle cherche à leur faire avouer avec une insistance obsessionnelle sans jamais mettre un mot sur ses pires craintes. Ainsi, les mystères et les non-dits, les ellipses et les sous-entendus, les craintes associées à la certitude que quelque chose d’horrible se passe dans cette demeure, provoquent une atmosphère étouffante et aggravent la situation. Pour les personnages, mais aussi pour le lecteur qui se trouve pris dans l’engrenage et qui voit l’écrou se resserrer pendant que ses méninges tournent à plein régime.
Le récit étant raconté par l’institutrice elle-même qui ne met jamais en doute la réalité des apparitions, il est difficile de se détacher de son explication surnaturelle. Pourtant, les interprétations sont plurielles. De nombreuses analyses ont été avancées. Pour les critiques qui penchent du côté de la folie, la mort finale du petit garçon est assez énigmatique : est-ce la peur qui tue Miles ? est-ce la pression physique de l’enseignante qui, pour cacher les fantômes à sa vue, le serre convulsivement contre elle à l’étouffer littéralement ? ou bien encore, s’agit-il d’une mort métaphorique – entendons par là que l’« étreinte » évoquée par la narratrice cache en réalité un enlacement charnel ? Ainsi, l’instructrice aurait dépucelé l’enfant, dont la mort ne serait qu’une petite mort, et sa folie hallucinatoire ne serait due qu’au refoulement de son désir pédophile… Cependant, si ses deux protégés n’ont pas été corrompus par leurs précédents instructeurs, comme l’affirme la narratrice, comment expliquer le comportement ambigu des enfants ? Pour quelle raison le garçon s’est-il fait renvoyer du collège ? Pourquoi vole-t-il une lettre ? Pourquoi s’aventure-t-il dehors, en pleine nuit, à l’insu de sa préceptrice ? De nombreuses questions restent en suspens à la fin du récit auxquelles on peut apporter des réponses plus nombreuses encore.
Mais pourquoi une telle controverse agite les critiques ? Parce que James a laissé des blancs dans son œuvre et confie au lecteur le soin de les remplir selon ses propres peurs, ses propres fantasmes.
La frustration est donc grande de ne pouvoir découvrir une seule et même réponse. Une réponse en bloc salvatrice pour le lecteur, nécessaire au repos de son esprit. Mais n’est-ce pas là ce qu’on attend des meilleures histoires d’horreur : qu’elles nous laissent un frisson indéfinissable même après avoir tourné la dernière page et posé le livre sur la table ?

Note :
Le Tour d’écrou de Henry James a connu de nombreuses adaptations télévisées et cinématographiques. Pour prolonger votre lecture, vous pouvez également écouter la version radiophonique créée par Jean Pavans adaptée de sa propre traduction, disponible sur le site internet de France culture : http://www.franceculture.fr/emission-fictions-droles-de-drames-le-tour-d-ecrou-2014-06-07.
Version abrégée de la nouvelle de Henry James, elle lui reste très fidèle. Néanmoins, elle semble favoriser l’interprétation de la folie hallucinatoire du fait que l’auditeur, au lieu de lire les dialogues rapportés par la narratrice, entend directement parler la préceptrice dont le ton trahit son hystérie grandissante. Ainsi, l’auditeur gagne une certaine objectivité puisqu’il détient un regard plus extérieur. Il n’est plus prisonnier des mots choisis par la narratrice, trop impliquée : il peut aussi se laisser guider par sa propre perception.

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(1) Stephen King, Anatomie de l’horreur – 1, Paris, J’ai lu, 2008, p. 86-87.
John Wick 
film réalisé par David Leitch et Chad Stahelski

Résumé :
John Wick vient de perdre sa femme des suites d’un cancer. Alors qu’il se morfond chez lui, un livreur lui remet un chiot, Daisy, accompagné d’un message. Il s’agit des dernières dispositions prises par son épouse avant de mourir, pour ne pas le laisser seul avec son chagrin. Une lueur d’espoir au bout du tunnel sombre creusé par la maladie.
Malheureusement, deux nuits plus tard, le fils d’un ponte de la mafia locale, Iosef Tarasov, le passe à tabac, lui vole sa voiture (une Mustang 69), et tue son chien. John Wick décide alors de reprendre du service. Et les bas-fonds de la ville s’agitent, se préparant au pire. Car John Wick, que l’on surnommait « Baba Yaga » avant sa retraite anticipée, était le tueur à gages le plus redouté de sa catégorie…


Critique (attention, spoilers) :
En dépit d’une trame assez peu originale (un redoutable tueur raccroche pour une femme et se venge impitoyablement après sa mort), David Leitch et Chad Stahelski signent ici un film d’action survitaminé qui fait du bien au moral et exploite avec humour les codes du genre. La bande-son enlevée soutient d’ailleurs efficacement le ton ironique du film (je pense notamment au bruit amplifié des pas de John Wick lorsque celui-ci apparaît en contre-plongée dans les escaliers, clin d’œil aux films d’horreur – Attention les enfants, Baba Yaga arrive…).
Certes, la première réalisation des deux anciens cascadeurs n’échappe pas au stéréotype du héros tout-puissant et, comme souvent dans ce genre de films, on ne comprend pas bien : 1) pourquoi il ne se défend pas davantage lorsque Iosef Tarasov et ses sbires l’attaquent chez lui et maltraitent son chiot ; et 2) pourquoi les méchants ne tuent pas rapidement John Wick quand ils en ont l’occasion (pour ne citer qu’un exemple, lorsque notre justicier impitoyable est fait prisonnier par le père de Iosef et que ce dernier discute tranquillement avec lui au lieu de lui tirer une balle en pleine tête…). Bien sûr, on peut alléguer, pour le petit 1), que John Wick est trop surpris, lui qui n’a pas fait couler le sang après quatre ans d’abstinence due à son mariage, et, pour le petit 2), que les méchants ont trop de respect pour le légendaire John Wick – qui force leur admiration – pour le tuer quand la situation le rend vulnérable. Mais ces justifications ne satisferont que les fans purs et durs, je le crains.
Nonobstant, porté par un manichéisme parfaitement assumé, John Wick est tout simplement jouissif. À la fin du film, justice est faite ! D’ailleurs, les méchants sont de tels salopards que vous adorerez les détester. Quant à Keanu Reeves, il est fidèle à lui-même dans ce rôle de vengeur sauvage et désabusé.
Autre point intéressant : loin des scènes spectaculaires de Matrix devenues un peu trop présentes aujourd’hui dans les films d’action, le long-métrage de David Leitch et Chad Stahelski marque le retour d’un style de combat épuré, plus réaliste, où chaque coup est mortel et la survie dans l’économie. Exit, donc, les combats au corps-à-corps qui durent des heures. Et, quand les adversaires s’empoignent à bras-le-corps, ils ne s’envoient pas voler à dix mètres du sol. Les lois de la gravité sont respectées et on y croit d’autant plus.
Enfin, les cœurs tendres ne seront pas insensibles à la symbolique du chiot. Car, si l’étincelle d’espoir s’éteint dans l’introduction avec la mort de la frêle Daisy, elle se rallume dans la dernière scène avec l’adoption d’un nouveau chiot, né pour devenir un molosse, celui-là. Ainsi, John Wick rend hommage à sa femme tout en se réconciliant avec sa nature sauvage qu’il avait abandonnée aux côtés de sa douce épouse, s’ouvrant à une troisième existence, sans doute plus en adéquation avec son véritable tempérament.
C’est sûr, John Wick ne révolutionne pas le genre. Mais il fait très plaisir à voir après une dure journée de boulot où vous avez l’impression que la Terre entière vous en veut : John Wick se défoule et vous avec !
Alors, que demander de plus ?

vendredi 17 octobre 2014

La guerre de Troie n’aura pas lieu
de Jean Giraudoux (éditions Larousse)


Résumé :
En enlevant Hélène aux Grecs, Pâris amène le conflit aux portes de Troie. Son frère, Hector, revenu de campagne, las de la guerre, veut l’obliger à mettre un terme à son aventure amoureuse en rendant la femme de Ménélas à son époux. Mais Pâris n’est pas le seul à refuser de se séparer de la belle Hélène…


Critique (attention, spoilers) :
Nous connaissons tous la chute de Troie. Reprenant les grandes lignes de la tragédie antique, Jean Giraudoux a choisi de n’aborder, dans cette pièce de théâtre écrite en 1935, que les prémices de la guerre entre Grecs et Troyens, à un temps où elle peut encore être évitée. Encore faut-il que ce soit possible, car le Destin implacable veille à ce que ses projets se réalisent en dépit de toutes les tentatives de paix…
En réalité, La guerre de Troie n’aura pas lieu ne parle pas de la guerre de Troie. Ou, plus exactement, Giraudoux utilise ce mythe grec pour parler de la guerre en général et faire écho, en particulier, à la situation européenne au cours des quelques années précédant la Seconde Guerre mondiale, alors que le conflit avance à grands pas, au su de tous, sans que personne n’ose intervenir.
Malgré la menace qui pèse sur les personnages, malgré ce sombre parallèle, Jean Giraudoux parvient à faire de cette tragédie une comédie fine et parfois osée en jouant sur différents ressorts propres au théâtre (le comique de situation, le comique de gestes et celui de mots), mais aussi la parodie, les anachronismes,… jusqu’au couperet final de la déclaration de guerre.
Mais ne nous y trompons pas. Sous la forme plaisante, le fond est grave, voire cynique, et les scènes burlesques soutiennent l’attention du spectateur tout en soulignant les moments sombres. Car dans cette réécriture moderne du mythe, deux camps s’affrontent : ceux qui veulent la paix (dont se réclame Jean Giraudoux) et ceux, plus véhéments encore, qui veulent la guerre. Puis il y a Hélène, distante, aux motivations un peu troubles. Et enfin le Destin.
La fatalité inhérente à la tragédie est dans chaque personnage. Elle est dans Cassandre qui voit l’avenir se profiler sans pouvoir lui faire changer sa course. Elle est dans Hector qui « gagne chaque combat. Mais de chaque victoire l’enjeu s’envole » (acte II, scène 11). Dans Hélène, qui paraît insensible et superficielle au premier abord, et qui révèle ensuite un raisonnement singulier mais empli d’une logique implacable sous ses atours mystérieux. Ou encore dans Ulysse au verbe clair et pénétrant, dont la ruse et le talent ne suffiront pas à convaincre les Grecs de préserver la paix.
« La guerre de Troie n’aura pas lieu », lance Andromaque à Cassandre à l’ouverture du rideau.
« La guerre de Troie n’aura pas lieu », soutient Hector tout au long de la pièce.
Mais le Destin dépasse la volonté des hommes. La guerre de Troie aura lieu, bel et bien. La Seconde Guerre mondiale aussi.

vendredi 12 septembre 2014

La Route
de Cormac McCarthy (éditions de l’Olivier)

Résumé :
Dans un pays dévasté, un père et son fils marchent vers les côtes du Sud, poussés par la rudesse de l’hiver terrien. Tel du gibier traqué, ils dévorent les kilomètres à défaut de nourriture, évitant les rares humains ayant survécu à l’apocalypse qui revêtent la forme de cadavres ou de brigands sans foi ni loi, pilleurs, violeurs, esclavagistes et cannibales. Rabaissés au rang de bête, père et fils survivent de menues trouvailles dans des bâtiments abandonnés, un sac à dos sur le dos et poussant partout un caddie dont le contenu constitue leurs seules possessions. Ils fuient la neige mêlée de cendre, cette cendre qui recouvre tout, qui les précède partout…


Critique (attention, spoilers) :
Que dire de ce roman qui a reçu le prix Pulitzer en 2007 et a été adapté à l’écran en 2009 par John Hillcoat ?
Son style est déroutant de prime abord. Pourtant il colle au plus près de l’histoire, de l’atmosphère froide et désincarnée que souhaite donner l’auteur. Par un usage réduit à l’extrême de la ponctuation, remplacée par la conjonction « et » que l’on peut trouver jusqu’à quatre ou cinq fois dans la même phrase, par l’emploi assumé de répétitions pour désigner les deux personnages principaux, par la pénurie de pensées autres que celles directement liées à la survie, par l’accumulation de descriptions laconiques et purement factuelles, Cormac McCarthy nous plonge dans un monde sans couleur et sans relief, où la barbarie l’a emporté sur les valeurs humaines.
Dans ce monde errent – avec pour seul but ce qui est probablement une illusion, celle que la vie sera moins difficile dans le Sud – un homme et son fils, reliés par le lien fort et néanmoins ténu de la survie. Complètement dépersonnalisés, ces deux personnages que l’on suit tout au long du roman n’ont pas de nom ni de prénom. L’auteur utilise simplement « l’homme » ou « Papa » pour le père, « le petit » pour l’enfant. Les dialogues entre eux sont minimalistes. Peu développés, voire animalisés, tous deux se réduisent à ce qu’ils sont l’un pour l’autre, à leur rôle de protecteur et de protégé, comme s’ils étaient les derniers êtres humains sur Terre et que cela seul les définissait. On ne sait rien non plus de la catastrophe qui a détruit la civilisation humaine et décimé la faune, hormis les feux qui continuent d’incendier certaines maisons et la cendre qui tombe et tombe sans fin.
En bref, n’espérez pas avoir de réponses, La Route est là pour vous poser les questions.
Le résultat est un roman qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui dévoile toute l’horreur d’une vie qui se résume à la simple survie, toute l’horreur de la condition humaine qui nous fait marcher sur la route, encore et encore, sans savoir ce qu’il y a ensuite, mais nous empêchant de renoncer. L’enfant surtout ne perd pas espoir de rencontrer des « gentils ». Et cet espoir qui le porte, encouragé par son père, le transforme en flambeau vivant, détenteur de certaines valeurs à une époque où elles n’ont apparemment plus cours.
Un bûcher sous la neige 
de Susan Fletcher (éditions Plon)


Résumé :
Corrag la sorcière. La putain. La gueuse. Voilà ce qu’ils disent d’elles. Ils l’ont honnie, accusée, pourchassée, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Peu importe que sa connaissance des plantes ait soulagé les maux et sauvé des vies. Tout le monde sait que la guérison par les simples est de la sorcellerie, n’est-ce pas ?
Enfermée dans une geôle sombre et puante, les cheveux hirsutes et la face noire de crasse, la jeune Corrag attend le dégel qui la verra brûler sur le bûcher.
C’est alors que la providence place sur son chemin un homme de foi. Celui-ci entre à contrecœur dans sa prison pour obtenir des renseignements. Elle aurait, dit-on, été le témoin d’un massacre perpétré sur l’ordre du roi Guillaume, l’usurpateur. Car Charles Leslie est jacobite. Il agit en faveur du retour du roi Jacques, forcé à l’exil par ce que la postérité a retenu sous le nom de Glorieuse Révolution. Et le récit échevelé de cette fille du Diable pourrait lui être utile.
Bravant son dégoût, l’homme de foi s’assied et écoute. Corrag raconte d’abord son histoire, faite de fuite et d’isolement, de contemplation, d’émerveillement et de joies simples. Puis elle aborde sa rencontre avec le clan MacDonald, des Highlanders, avant que ce dernier soit décimé par les soldats de Guillaume.
Au fil des jours, le cœur et les convictions de Charles se brouillent. Cette créature, pas plus grande qu’une fillette, a une façon de parler et un comportement étranges, certes. Mais est-elle vraiment le jouet des ténèbres que les gens bien pensants redoutent et exècrent ?


Critique (attention, spoilers) :
Un bûcher sous la neige est un roman historique qui ne doit pas se réduire à cette classification. Bien que son intrigue se déroule dans les Highlands du xviie siècle, le contexte historique semble assez anecdotique par rapport au personnage de Corrag, la narratrice, qui raconte son enfance anglaise puis sa vie de jeune adulte en Écosse.
Tout au long de son existence, pour se préserver, Corrag a fui la compagnie des hommes, se tenant délibérément à l’écart de l’humanité, de ses violences et de ses conflits, de son histoire. À certains moments clés de sa vie néanmoins, les affaires humaines l’ont rattrapée, comme à la fin du roman où l’Histoire précipite sa chute et celle de ceux que la sorcière a côtoyés, a appris à connaître et à aimer, en dépit de son exil.
L’Histoire n’est donc qu’un personnage secondaire dont l’importance se fait surtout sentir dans les derniers chapitres. De ce fait, il y a assez peu d’action (sauf, encore une fois, à la fin, où le temps pour agir semble manquer à l’héroïne après toutes ses années de contemplation).
C’est donc, au-delà du roman historique, le portrait d’une très belle âme que nous dresse ici Susan Fletcher, une âme qui n’est qu’amour, tolérance, bonté et innocence. Le personnage de Corrag pourrait énerver ou mettre mal à l’aise tant il semble moralement parfait. Pourtant, dès le départ, on se glisse dans la tête et la peau de cette héroïne avec une facilité déconcertante. Corrag est terriblement attachante. Parce qu’elle a vécu des choses atroces, parce qu’elle en parle sans donner l’impression de s’en plaindre, mais qu’elle ne tend pas non plus l’autre joue. Ce n’est pas une sainte ou une martyre, supportant stoïquement la peine vécue au cours de sa vie terrestre, convaincue que la qualité de son séjour éternel dépende de ses actions quotidiennes. La jeune fille n’est pas chrétienne. Elle s’est construit sa propre religion, ses propres croyances, que l’on pourrait qualifier de païennes et d’animistes. Autant que possible, Corrag a tenté de fuir la douleur, de trouver le bonheur. Et elle le trouve partout, malgré les malheurs qui la frappent de plein fouet. Elle aime la vie, se contentant de petites choses simples qui lui paraissent grandioses. Elle puise son bien-être et ses forces dans la beauté de la nature et des âmes humaines, qui toutes ne sont pas mauvaises, en portant sur le monde un regard très contemplatif. Un regard de sorcière ?

Note :
Vous pourrez prochainement retrouver cette critique sur le blog http://lilleauxlivres.wordpress.com/, club de lecture lillois pour lequel je quitte de temps en temps ma grotte enfumée afin de partager d’oniriques lectures. N’hésitez pas à y faire un saut, il y a plein de critiques de livres qui n’attendent que d’être dévorés !
Les Gardiens de la galaxie 
film réalisé par James Gunn

Résumé :
Star-Lord est un mercenaire, élevé par une bande de hors-la-loi nommés les Ravageurs. En volant un orbe aux pouvoirs aussi démesurés que méconnus, il devient la cible des extraterrestres les plus puissants de la galaxie.
Gamora est la fille adoptive de Thanos, un Titan machiavélique qui l’a enlevée à sa famille, puis transformée en véritable machine de guerre. Elle est chargée de récupérer l’orbe pour le compte de Ronan, un être surpuissant et dangereux.
Rocket est un raton laveur. Après avoir été victime d’expériences génétiques, il s’est retrouvé doué de parole et d’une intelligence humaine particulièrement développée. Fine gâchette et féru de technologies, Rocket s’est associé à Groot, un arbre humanoïde au vocabulaire assez pauvre mais à la force surhumaine et aux capacités régénératrices quasi infinies. Tous deux sont aux trousses de Star-Lord, dans l’espoir d’empocher la prime conséquente dont ce dernier fait l’objet.
Drax le Destructeur, un hercule au corps couvert de tatouages et à l’intellect un peu lent, ne rêve que de venger la mort de sa femme et de sa fille, tuées par Ronan.
Ces cinq-là ne se sont encore jamais rencontrés. Et ils n’ont à vrai dire rien en commun. Mais un séjour en prison va les forcer à se rapprocher. Ensemble, ils vont devoir s’unir pour s’évader. Ensemble, ils vont peut-être sauver la galaxie…


Critique (attention, spoilers) :
Un blockbuster complètement déjanté qui mérite qu’on lui prête attention. Adapté de séries de comics Marvel du même nom, Les Gardiens de la galaxie semble pourtant plus proche, dans l’esprit et dans l’esthétique, du space opera que des histoires de super-héros. Ce film fleure bon la première trilogie de Star Wars (par « première trilogie », entendez d’un point de vue chronologique dans l’histoire du cinéma, c’est-à-dire celle débutée en 1977). Un petit air qu’on retrouve avec plaisir et nostalgie, qui n’est peut-être pas étranger à la bande-son volontairement rétro, partiellement rythmé par la musique pop des années 80.
L’humour est subtil, les répliques inspirées, les scènes enlevées.
L’univers est suffisamment riche pour qu’on ait envie de le creuser. Trop riche, peut-être. Lorsqu’on ne connaît pas les comics, le début semble un peu flou. Dès les premières séquences, on doit se familiariser avec, en plus des héros, nombre de personnages. Les relations qui les unissent ne nous apparaissent que petit à petit, ce qui peut gêner la compréhension de certaines scènes d’introduction. Mais mieux vaut trop que pas assez, n’est-ce pas ?
Évidemment, une suite est prévue, qui devrait expliciter le cross-over avec les Avengers. Car, oui, il y a bien un lien dans les comics, mais… chhh !
Alors, à quand le deuxième volet ?

mardi 26 août 2014

De la fantasy, du fantastique et du merveilleux

Définir la fantasy, genre protéiforme par excellence, n’est pas chose aisée. En particulier parce qu’elle est d’origine anglophone (même si de plus en plus d’écrivains français tirent leur épingle du jeu) et que la définition du genre par les Anglo-Saxons n’est pas tout à fait la même que la nôtre. Anne Besson, dans son ouvrage La Fantasy paru chez Klincksieck, ébauche une première définition de la fantasy comme étant :
« un ensemble d’œuvres textuelles mais aussi iconographiques et interactives qui exaltent (ou parodient) une noblesse passée marquée par l’héroïsme, les splendeurs de la nature préservée et l’omniprésence du sacré, en ayant recours à un surnaturel magique qui s’appuie sur les mythes et le folklore. »
Mais elle ne tarde pas d’ajouter :
« Cependant, dès que l’on cherche à borner trop fermement le domaine d’extension du genre, la validité de toute définition s’estompe (1). »
Nous avons précisé que les critiques français ne définissent pas la fantasy de la même façon que les Anglo-Saxons. En effet, ces derniers rassemblent indifféremment dans la fantasy des œuvres comme l’épopée de l’Odyssée d’Homère, les contes merveilleux des frères Grimm ou encore les nouvelles fantastiques d’Edgar Allan Poe, alors que les spécialistes français, forts des théories todoroviennes, ne peuvent que constater l’écart entre ces différentes classes de texte, et notamment entre le merveilleux, le fantastique et la fantasy sur lesquelles nous allons nous pencher ici.
Genre importé et transformé en France au xixe siècle, le fantastique a fait couler beaucoup d’encre dès son apparition. Sur ce sujet, l’étude de Tzvetan Todorov reste une référence. Voici comment il définit le fantastique :
« Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. […] Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel (2). »
Bien que la critique moderne n’exclue plus un fantastique de « la monstration de l’inexplicable et de l’inacceptable », qui « joue sur le caractère spectaculaire, au sens propre, de l’être ou de l’objet qu’il donne à voir (3) », elle positionne encore le fantastique comme une « intrusion brutale (4) » de l’élément incompréhensible dans le réel parfaitement ordonné et répondant à des lois scientifiquement notoires, comme une « rupture de l’ordre reconnu (5) ». Or, la fantasy, au contraire, impose l’existence de la magie et du surnaturel comme allant de soi, éloignant le lecteur (pour son plus grand plaisir) de son cadre de vie réelle.
« Non seulement le “cadre de la vie réelle” n’y est présent qu’à titre optionnel, les “autres mondes” s’imposant davantage comme trait générique saillant, mais encore et surtout il ne saurait être question d’“ordres établis” ou de “lois naturelles” seules valables, où l’irrationnel ferait “intrusion”, choc ou même trouble. Au contraire, la fantasy apparaît en majorité comme le domaine d’un “surnaturel naturalisé” : l’existence ou l’apparition de créatures ou d’événements inconnus de notre cadre cognitif s’y voit accepté par le lecteur/spectateur au même titre qu’elles le sont au sein du monde fictionnel, sans prêter à la remise en question ou même à l’interrogation (6). »
J.R.R. Tolkien, à qui l’on doit en grande partie ce qu’est devenue la fantasy aujourd’hui, s’était lui-même interrogé sur le genre embryonnaire qu’il avait créé. Et il avait déjà essayé, dans son essai « Du conte de fées », d’expliquer ce genre à peine éclos. Pour lui, l’univers de fantasy créé par l’écrivain est un « monde secondaire » (par opposition au « monde primaire », celui que nous connaissons), qui repose sur un système de magie cohérent et sur ses propres « lois naturelles » pour reprendre l’expression, quoique détournée, de Todorov. Voici ce que dit exactement Tolkien :
« Il [l’auteur] crée un Monde Secondaire dans lequel votre esprit peut pénétrer. À l’intérieur, ce qu’il raconte est “vrai”, c’est-à-dire correspond aux lois de ce monde. Par conséquent, vous y croyez, aussi longtemps que vous vous trouvez à l’intérieur, en quelque sorte. Au moment où surgit l’incrédulité, le charme est rompu ; la magie, ou plutôt l’art, a échoué. Vous êtes alors de nouveau dans le Monde Primaire, à regarder de l’extérieur le petit Monde Secondaire avorté (7). »
Ainsi, l’univers créé n’est pas exempt de logique, mais sa logique lui est propre. Et plus le « monde secondaire » de l’auteur est détaillé, cohérent avec lui-même, plus le charme opère, retenant le lecteur dans une « croyance secondaire ».
« Quiconque héritant de la faculté de Fantasy du langage humain peut dire le soleil vert. Beaucoup peuvent alors l’imaginer ou le représenter. Mais ce fait ne suffit pas […]. La création d’un Monde Secondaire dans lequel le soleil vert serait crédible, et qui commande la Croyance Secondaire, requiert probablement du labeur et de la réflexion, et exige certainement un talent particulier, une sorte d’art elfique (8). »
En résumé, la fantasy pince les mêmes cordes que le merveilleux qui est défini comme reposant « sur l’acceptation immédiatement donnée d’un surnaturel qui ne suscite aucune surprise (9) ». Mais le merveilleux n’est pas considéré comme un genre à proprement parler, à la différence de la fantasy née dans la seconde moitié du xxe siècle. Le merveilleux est plutôt une sorte de courant artistique qui a traversé les époques, et notamment le Moyen Âge, pour se retrouver dans toutes sortes de récits génériques, à commencer par les plus connus, les contes merveilleux.


(1) Anne Besson, La Fantasy, Paris, Klincksieck, « 50 questions », 2007, p. 14.
(2) Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Points, 1970, p. 29.
(3) Michel Viegnes, Le Fantastique, Paris, Flammarion, « GF Corpus », 2006, p. 16.
(4) Pierre-Georges Castex, Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, Paris, José Corti, 1951, p. 8. Cité par Michel Viegnes, op. cit., p. 15.
(5) Roger Caillois, préface d’Anthologie du fantastique, Paris, Gallimard, 1966, p. 191. Cité par Michel Viegnes, op. cit., p. 15.
(6) Anne Besson, La Fantasy, op. cit., p. 17.
(7) J.R.R. Tolkien, « Du conte de fées » dans Les Monstres et les critiques et autres essais, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2006, p. 165-166.
(8) Ibid., p. 174. « Du labeur et de la réflexion », Tolkien n’en manquait pas, lui qui n’a eu de cesse, de son vivant, de bâtir un monde riche de détails et d’histoires enchâssées au fil des livres qu’il a publiés : Bilbo le hobbit et Le Seigneur des anneaux bien sûr, mais aussi Le Silmarillion, travail de toute une vie qu’il ne publiera jamais de son vivant, faute d’avoir pu achever un ouvrage qu’il alourdissait sans relâche d’ajouts et de retouches.
(9) Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 263.

mercredi 13 août 2014

Maléfique
film réalisé par Robert Stromberg

Résumé :
Il était une fois un royaume lointain, baignant dans la paix et la prospérité. Le couple royal qui le gouvernait était bon pour son peuple, mais il était triste car il ne parvenait pas à avoir d’enfants. Jusqu’au jour où la reine accoucha d’une ravissante petite fille. Une grande cérémonie fut donnée en l’honneur de ce bébé tant espéré. Tous les notables du royaume furent invités. Les fées elles-mêmes furent conviées à se pencher sur le berceau. Mais l’une d’entre elles avait été oubliée. La grande, l’odieuse, l’ignoble Maléfiq…
Ah non, c’est pas le bon script… ça, c’est le dessin animé de 1959. Mais où est passé notre film ? Ah, le voilà. Mmh, je reprends.
Il était une fois deux peuples antagonistes : le peuple des hommes et celui de la féerie. Mais que connaissent des conflits les enfants ? Un petit d’homme pénétra dans le royaume de féerie pour y voler une pierre précieuse… et c’est le cœur de la pétillante Maléfique, une jeune fée malicieuse, qu’il ravit. Les deux êtres que tout séparait grandirent dans l’amitié, puis l’amour, respectant leurs différences à l’abri de la brutalité du monde des hommes. Mais l’ambition et la cupidité du jeune voleur mirent un terme à leur complicité. Pour devenir roi, ce dernier endormit Maléfique par traîtrise et l’amputa de ses ailes.
À son réveil, Maléfique, pétrie de douleur, sombra dans une haine dévastatrice dont rien ne semblait pouvoir la sauver…


Critique (attention, spoilers) :
Maléfique est un petit bijou d’humour et de stéréotypes retournés comme des gants pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Angelina Jolie est lumineuse au cœur de la noirceur de son personnage, lui insufflant une humanité et une vulnérabilité touchantes. Mais les acteurs qui l’entourent ne sont pas en reste. Pour ne citer qu’eux, Sharlto Copley, l’inoubliable Wikus van der Merwe de District 9 (ne serait-ce que pour son nom imprononçable) et Elle Fanning, étoile montante à Hollywood, emplissent le film de leur présence dans les rôles respectifs du roi Stéphane et de la princesse Aurore.
Pendant longtemps, malgré son succès littéraire, la fantasy portée à l’écran n’a guère donné de beaux fruits, hormis quelques rares exceptions parmi lesquelles les adaptations cinématographiques du Seigneur des anneaux et de Bilbo le Hobbit par Peter Jackson. Néanmoins, on a pu voir ces dernières années fleurir de surprenantes réussites, notamment grâce à la révision des contes de fées, comme Blanche Neige et le chasseur (malgré quelques défauts), mais surtout la série télévisée Once upon a time et à présent Maléfique.
Cette réécriture audiovisuelle de La Belle au bois dormant s’écarte radicalement des versions littéraires des frères Grimm et de Charles Perrault, tout comme elle prend volontairement le contre-pied du dessin animé Disney de 1959. On y retrouve bien sûr les scènes clés (le lancement du mauvais sort, l’édification de la muraille d’épines, la rencontre du prince et de la princesse, la plongée de cette dernière dans un sommeil profond…) mais vues sous un jour totalement nouveau. Ici, ce sont les humains qui ont le mauvais rôle. Guidés par un roi avide de pouvoir et sans merci, ils se montrent impitoyables envers les membres du petit peuple.
On pourrait presque voir dans ce film un retour aux sources du merveilleux, du temps où ce dernier, païen, n’avait pas encore revêtu ses atours chrétiens. Voire observer, dans la lutte qui oppose les hommes à la féerie, une métaphore (probablement inconsciente) du combat livré par l’Église contre les folklores indigènes pour les étouffer, ou tout au moins les acculturer. Un combat que la fantasy reprend souvent au nom du merveilleux païen, comme une tentative désespérée de changer l’issue de cette bataille qui, dans l’histoire, fut moins heureuse pour les êtres féeriques.
Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle version de La Belle au bois dormant brise en mille éclats le mythe du true love kiss, largement diffusé par l’industrie Disney elle-même, pour le reforger de manière assez inattendue.