Shining
film réalisé par Stanley Kubrick et minisérie réalisée par Mick Garris,
d’après le roman de Stephen King
Résumé :
L’hiver
arrive. Comme tous les ans, l’Overlook va fermer ses portes : durant la
morte saison, le prestigieux hôtel est assiégé par la neige qui bloque les
routes et l’isole totalement. Alors que le personnel déserte le bâtiment, Jack
Torrance, qui vient de quitter sa charge de professeur, s’y voit proposer le
poste de gardien. C’est l’emploi idéal pour cet écrivain en panne d’inspiration
qui recherche un environnement calme et des horaires adaptables afin de se
consacrer à l’écriture.
Jack,
sa femme, Wendy, et leur jeune fils, Danny, s’installent dans l’Overlook dont
ils seront les seuls résidents jusqu’au printemps. Mais le cadre idyllique ne
tarde pas à devenir inquiétant. Car, depuis sa construction, le luxueux hôtel est
le théâtre d’événements tragiques et violents qui ne cessent de le façonner.
Très
vite, Danny ressent les présences qui emplissent l’Overlook. Pire. Jack les ressent
aussi. Il les voit. Elles lui murmurent à l’oreille. Et il les écoute.
Avec
toujours plus d’attention.
Critique (attention, spoilers) :
C’est
à partir de ce matériau de départ que Stanley Kubrick et Mick Garris ont chacun
modelé leur adaptation, leur donnant une forme très différente l’une de l’autre.
Mais,
avant d’aller plus loin, revenons sur la genèse de ces deux projets.
Shining est avant tout un roman de
Stephen King publié en 1977 aux États-Unis et en 1979 en France.
En 1980, le film de Stanley Kubrick sort à l’écran.
Bien que Stephen King reconnaisse apprécier ce long-métrage en tant que tel, l’écrivain
est furieux contre le réalisateur qui a coécrit le scénario avec l’aide d’une
autre romancière, Diane Johnson, dans un esprit très différent de celui de son
livre. L’auteur n’a alors de cesse de critiquer la version de Kubrick jusqu’à
ce que celui-ci lui accorde l’autorisation (eh oui, le droit d’auteur peut être
retors, parfois !) de superviser sa propre mouture. C’est ainsi que sort,
en 1997 aux États-Unis, la minisérie Shining.
Certes,
la réaction de Stephen King peut sembler trop véhémente, mais il faut bien
avouer que le film de Kubrick prend de très grandes libertés avec le roman dont
il s’est inspiré, rendant l’histoire et les personnages quasi méconnaissables.
On peut comprendre que l’ego de l’écrivain ait pu s’en trouver froissé…
L’atout
principal de la série est sans conteste qu’elle respecte à la lettre l’histoire
du livre (un excellent roman, précisons-le pour ceux qui ne l’ont pas encore lu)
et les différentes scènes qui le composent. Surtout, on y retrouve les
personnages tels qu’imaginés par Stephen King, dans toute leur complexité et
leur richesse psychologique. Wendy est en effet loin d’être aussi passive et
effacée que dans le film : elle atterrit à l’Overlook pour donner une
seconde chance à son époux, et non par soumission comme dans la version de Kubrick.
Cette différence de comportement se sent tout au long de la série, et aboutit à
de profonds changements par rapport au film.
Mais
le personnage qui oppose radicalement le film et la série est bien sûr Jack,
que Kubrick a totalement remanié. Dans son adaptation, le personnage de Jack
(joué par son homonyme Nicholson) est un véritable psychopathe, et ce dès les
premières minutes de film : sa folie tyrannique se décèle déjà dans ses
traits figés (ses sourcils en circonflexe, notamment), ses mimiques et ses
rictus qui expriment une violence latente et mal dissimulée.
Tandis
que la série, en adaptation fidèle du roman, dessine un portrait psychologique
de Jack moins flamboyant mais d’une certaine façon plus réaliste. Jack (joué
par Steven Weber) est un homme à la dérive, mari et père de famille aimant en
proie à l’alcoolisme qu’il combat avec acharnement. Cet alcoolisme, c’est le
talon d’Achille dans lequel Pâris plante sa flèche, c’est le levier que les
fantômes de l’Overlook utilisent pour pousser Jack à attaquer sa famille. Là où
Jack/Nicholson résiste peu, voire pas du tout, Jack/Weber lutte de toutes ses forces,
par amour pour sa famille, contre l’influence néfaste de l’hôtel, amenant le spectateur
à s’impliquer émotionnellement dans ce personnage. Ainsi, la série porte le
même message édifiant sur l’alcoolisme que le roman, message fortement édulcoré
dans l’œuvre de Kubrick.
Malgré
certains effets spéciaux qui piquent un peu les yeux (comme les sculptures de
buis qui prennent vie) et un emploi parfois assez classique des codes des ghost stories, la série nous emporte
avec succès dans la descente aux enfers de la famille Torrance. La production
réalisée par Mick Garris et chapeautée par Stephen King est une histoire
d’horreur efficace qui comprend quelques scènes tout simplement terrifiantes.
Néanmoins, sa filiation au roman est trop clairement affichée pour apporter un
éclairage nouveau sur l’œuvre de l’écrivain.
Le
film de Stanley Kubrick présente quant à lui, au premier abord, un scénario
moins complexe. Mais c’est sa mise en scène, portée par le sens du détail et de
la symbolique du réalisateur, qui en fait tout le charme. Là où la série est
très explicative, le long-métrage suggère plutôt diverses grilles de lecture
sans affirmer quoi que ce soit (un parti pris récurrent chez Kubrick, comme en
atteste 2001 : l’odyssée de l’espace).
Dans cette version, le personnage de Jack est
volontairement déshumanisé pour se rapprocher du minotaure de la mythologie grecque.
Nicholson affecte à la perfection la brutalité de cet être mi-homme mi-taureau
par son jeu alternant postures farouches et charges furieuses. L’analogie est bien
sûr renforcée par le labyrinthe de buis (dont on trouve une reproduction
miniature dans l’hôtel, pour en souligner l’effet) et par le dédale de pièces
et de couloirs que forme l’Overlook lui-même.
Cette
symbolique du labyrinthe est totalement absente du roman et fait partie des éléments
inventés par Kubrick. Ce dernier a, par ce détail et bien d’autres, créé une
adaptation surprenante et totalement personnelle du roman. Il s’est d’ailleurs si
bien approprié l’œuvre d’origine que son créateur, Stephen King, ne l’a pas
reconnue.
Mais,
après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller le débat… et d’être
revue et remaniée pour acquérir un jour, peut-être, le statut de mythe.
Un
statut qui finit toujours par dépasser son ancre d’origine.
Vous
l’aurez compris, le film et la série sont deux adaptations très dissemblables. Faut-il
pour autant choisir l’un plutôt que l’autre ? Est-ce vraiment trahir
Stephen King que d’apprécier le long-métrage ? Est-ce nier le statut de
chef-d’œuvre qu’a acquis le film de Kubrick que de louer les qualités de la série ?
Ou ne serait-il pas dommage de choisir un camp, quand chacune de ces deux adaptations
a ses qualités propres ?
Note :
Si vous
souhaitez découvrir d’autres pistes de lecture du film de Kubrick, je ne
saurais trop vous conseiller de visionner Room
237. Ce documentaire non officiel réalisé par Rodney Ascher, et sorti en 2012
aux États-Unis, propose diverses interprétations du long-métrage. Certaines des
théories qui y sont présentées paraissent tirées par les cheveux, et d’autres plutôt
dignes d’intérêt, bien qu’elles n’aient jamais été validées par le réalisateur.
À chacun de juger. Après tout, c’est le propre d’une œuvre d’art que d’éveiller
le débat…