Pourquoi j’ai mangé mon père
de Roy Lewis (éditions Pocket)
Résumé :
Pas si simple la
vie d’une famille de pithécanthropes ! Entre la malnutrition, les
prédateurs et les aléas climatiques, l’espèce humaine a bien du mal à évoluer.
Jusqu’au jour où le père d’Ernest découvre que le feu peut être apprivoisé…
s’ensuit alors une course au progrès pleine de suspense et de rebondissements.
Bien loin
d’Internet et des nouvelles technologies, redécouvrez un temps où le silex
remplaçait nos ordinateurs, où les arbres étaient les seuls gratte-ciel et où
les supermarchés ne fournissaient pas encore la nourriture à profusion.
Bienvenue dans le
monde d’Ernest. Bienvenue au… pléistocène !
Critique
(attention, spoilers) :
Un titre accrocheur
pour un livre hors du commun, qui se trouve à la croisée du roman burlesque, du
documentaire et de la fable.
Ernest, le
narrateur, raconte comment sa famille, guidée par un patriarche progressiste et
inventif, découvre successivement, entre autres avancées techniques et sociales,
la domestication du feu pour chasser et faire cuire les aliments, l’art et les
peintures rupestres, ou encore l’exogamie (pratique consistant à rechercher un
partenaire en dehors de sa famille ou de son clan).
Vous l’aurez
deviné, les tribulations de cette famille pithécanthropesque
aux caractères affirmés et très différents les uns des autres donnent lieu à des
scènes truculentes dont le lecteur est témoin, partagé entre le rire et
l’attendrissement. Une grande partie de l’humour de ce roman naît du décalage
entre l’époque préhistorique et les discours et les raisonnements
volontairement anachroniques des personnages qui n’hésitent pas à faire
référence à la Bible, ou à analyser leurs premiers pas d’humains comme s’ils
disposaient du recul et des connaissances scientifiques des paléoanthropologues
du xxe siècle.
Car, bien que n’étant
pas un spécialiste de la préhistoire, Roy Lewis ne s’en est pas moins appuyé
sur des recherches sérieuses pour élaborer son roman qu’il ponctue de scènes de
la vie quotidienne particulièrement réalistes. D’ailleurs, à en croire Théodore
Monod, l’explorateur et naturaliste français, Pourquoi j’ai mangé mon père est « l’ouvrage le plus documenté sur
l’homme à ses origines ». Sans doute faut-il un peu relativiser aujourd’hui l’exactitude
de toutes les données scientifiques contenues dans ce livre écrit en 1960. Et,
bien sûr, faut-il également accepter l’artifice scénaristique établissant que les
plus grandes découvertes de l’homme préhistorique sont faites par une seule et
même famille en l’espace de seulement deux générations. N’oublions pas en outre
que Pourquoi j’ai mangé mon père, en
dépit de sa nature documentaire, est avant tout un roman, et que les blancs
laissés par l’histoire, ou, en l’occurrence, par la préhistoire, sont comblés
par l’écrivain au moyen de son imagination.
Et, de
l’imagination, Roy Lewis n’en manquait pas, lui qui a transformé le récit de
l’évolution de l’espèce humaine en fable poussant à s’interroger sur la position
de l’homme face au progrès. En effet, de nombreux détails du livre entrent en
résonance avec des sujets modernes pour les années 60, et malheureusement
toujours d’actualité au xxie siècle.
Ainsi, la maîtrise progressive du feu fait indéniablement référence à
l’exploitation de l’énergie atomique, et ses accidents de parcours, dont l’incendie
de la forêt qui détruit la faune et la flore sur des kilomètres à la ronde,
préfigurent les catastrophes nucléaires qui marqueront cruellement notre époque.
Il en va de même pour les immigrants d’Afrique et les Néandertaliens qui peuplent
la Palestine et ne cessent de se battre sans raison apparente (du moins d’un
point de vue extérieur) tout en s’appariant de temps en temps. Le renvoi au
conflit israélo-palestinien est transparent.
Mais comment
résumer ce livre en quelques lignes tant les pistes de réflexion y sont
nombreuses ? Pourquoi j’ai mangé mon
père fait probablement partie de ces romans que vous pouvez lire et relire
en découvrant à chaque lecture quelque chose de neuf, un nouveau sentier à
explorer jusque-là caché par les voies innombrables que l’auteur emprunte. Et
pourtant il est court, il est drôle, son style est simple mais relevé d’un
vocabulaire riche et recherché… Alors profitez-en, vous pouvez consommer ce
livre sans modération !
Note :
Bien
que Jamel Debbouze se soit inspiré du roman de Roy Lewis pour créer son film
d’animation Pourquoi j’ai pas mangé mon
père, ce dernier est une adaptation très libre qui n’a pas grand-chose à
voir avec le livre (presque) éponyme. D’ailleurs, en ajoutant la négation au
titre, Jamel affiche clairement sa volonté de s’éloigner de la trame de l’écrivain
pour signer sa propre comédie, au demeurant fort sympathique.
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