Julia
de Peter Straub (éditions Bragelonne)
Résumé :
Un an après avoir perdu sa fille dans un tragique accident, Julia quitte son mari, un avocat
charismatique et tyrannique. Sur une impulsion, elle achète une maison ancienne
où elle pense pouvoir panser ses plaies et retrouver sa sérénité perdue. Mais,
très vite, l’atmosphère de la maison devient oppressante. Julia entend des
bruits insolites. Elle éteint sans cesse les radiateurs qui semblent se mettre
en marche tout seuls. Et elle fait la rencontre d’une drôle de petite fille qui
ressemble étrangement à Kate, son enfant disparue.
Et si son nouveau
refuge n’en était pas un ?
Après tout,
peut-être que Julia n’a pas atterri ici par hasard…
Critique
(attention, spoilers) :
Classique au
premier abord, cette histoire de fantômes, publiée pour la première fois
en 1975 aux États-Unis, s’avère très vite complexe et particulièrement
prenante.
Le personnage
principal, Julia, est tellement effacé, naïf et distrait qu’il semble bien trop
fade, au départ, pour éveiller l’intérêt du lecteur. Et pourtant… Il se
concentre peu à peu autour de Julia tant de phénomènes étranges, comme si elle
agissait en catalyseur, et elle y semble si réceptive que l’on comprend
rapidement qu’elle n’est pas un personnage ordinaire. Elle n’apparaît alors
plus si insipide… et vous vous surprenez à suivre son incroyable histoire les
nerfs à vif et les dents serrées !
Toutes les
ficelles de la ghost story, élaborées
de main de maître par les Anglo-Saxons, sont là : maison qui semble hantée
par un esprit maléfique, médium terrifiée à la perception d’ondes émanant de
ladite maison, sensations angoissantes d’une présence invisible, appareils
ménagers qui se mettent en route tout seuls, objets qui disparaissent ou qui
tombent avec fracas dans le noir, apparitions entraperçues du coin de l’œil
dans les miroirs, meurtres violents dont l’assassin reste anonyme et
insaisissable… Tous ces phénomènes en apparence paranormale ne le sont pas
forcément, l’intrigue apportant une explication rationnelle à certains. Quant
aux autres…
À la manière de Henry
James dans son Tour d’écrou, dont on
ressent l’influence (parmi de nombreuses sources d’inspiration) sur Peter
Straub, ce dernier a préféré la tension psychologique croissante aux images
gore (quoique quelques scènes soient assez démonstratives, comme l’instant où
la petite fille blonde décapite un oiseau en le coinçant dans les roues d’un
vélo qu’elle fait rouler au sol) ou exhibant trop clairement un événement
surnaturel estampillé comme tel. Le thème de la démence est d’ailleurs
omniprésent. Tous les personnages comportent leur lot de folie et d’ambiguïté,
à commencer par Julia elle-même.
Rapidement, on
comprend que la jeune femme, riche d’une fortune léguée par sa lignée
paternelle, en grande partie acquise de façon brutale et sanglante, est une
proie pour son mari, pour sa belle-sœur qui prétend la protéger alors qu’elle
n’a d’autres intérêts que ceux de son frère, Magnus, l’époux de Julia, ou
encore pour Marc, le beau-frère au « visage de loup déguisé en agneau »
(p. 164). Tous en veulent à sa fortune, et Julia le comprend à un certain
niveau de conscience. Aucun moyen pour s’octroyer une part de son gâteau ne les
rebute, pas même celui de faire passer la belle nantie pour mentalement
instable.
Néanmoins, tous, à
un moment ou à un autre, ont la sensation que la maison de Julia est bien
hantée par un esprit vengeur. Mais tous, encore, semblent plonger dans une
obsession malsaine confinant à la folie, qui les fait douter de la fiabilité de
leurs sens. Julia ne fait pas exception, elle qui, traumatisée par la mort de
sa fille et broyée par un sentiment de culpabilité insurmontable, présente un
comportement de plus en plus névrotique et se demande même à plusieurs reprises,
du moins pendant un temps, si elle n’a pas accompli elle-même ce qu’elle prend
pour les exactions du fantôme.
Car, dans la
lignée du roman gothique, Julia a
pour thème principal le poids du passé et des souvenirs qui ne se laissent pas
oublier, venant à dévorer le présent. Le passé de Julia est marqué par la
trachéotomie manquée qu’elle a effectuée sur sa fille, Kate, alors que cette
dernière était en train de s’étouffer avec un morceau de viande. Cette tragédie
n’a pas fini de torturer Julia et son présent en porte encore les stigmates.
Mais, surtout, cet accident entre en résonance avec un autre drame, plus
ancien, qui a entaché à jamais la maison achetée par la jeune femme. Et c’est
de ces deux événements issus du passé que va naître l’horreur, une horreur chaotique
difficile à circonscrire au surnaturel ou au contraire à la simple théorie de
la folie autodestructrice de l’héroïne.
Selon certains
critiques dont le King de l’épouvante lui-même (Stephen de son petit nom), Julia, bien que ce roman soit diablement
efficace, n’était qu’un coup d’essai pour Peter Straub, qui a signé son
chef-d’œuvre en la qualité de Ghost Story,
publié quatre ans plus tard aux États-Unis, en 1979.
Alors,
si vous avez déjà lu Julia,
rassurez-vous : vous n’avez pas fini de trembler…