Le Dieu dans l’ombre
de Megan Lindholm (Télémaque)
Résumé :
Petite fille introvertie et sauvageonne, Evelyn semble être devenue une jeune femme
épanouie. Elle est mariée à un homme dont elle est follement amoureuse et mère
d’un garçon de 5 ans qu’elle couve un peu trop. Elle vit dans un chalet en
Alaska où elle possède tout ce dont elle a besoin : une famille, des amis,
un emploi… et surtout la nature, toute proche.
Mais
son bonheur est soudain bouleversé par un séjour chez sa belle-famille, qui semble
ne jamais vouloir prendre fin. Evelyn se heurte à l’hostilité de ses beaux-parents,
à l’inertie de son mari. Puis elle observe avec horreur son fils devenir l’enjeu
de sa défaite.
Mais, dans l’ombre des bois qui
entourent la ferme devenue sa prison, une créature surgie de son enfance vient
la retrouver. C’est un vieil ami, qu’elle avait presque oublié. L’entraînant
dans un voyage fantasmagorique, il va l’aider à renouer avec la forêt, à
redécouvrir qui elle est vraiment.
Critique (attention, spoilers) :
Le Dieu dans l’ombre, publié en 1991 aux États-Unis
(sous le titre Cloven Hooves, qui
signifie « sabots fourchus »), soit quatre ans avant la sortie
américaine de L’Assassin royal, porte
les prémices des grandes sagas intimistes signées Robin Hobb. Ce récit annonce aussi certains thèmes qui
deviendront récurrents dans les œuvres de l’auteure, tels que la relation de
l’homme à la nature ou le sens des responsabilités pesant sur les épaules de
ses héros comme une sorte de fatalité. Mais c’est aussi un grand roman qui a sa
propre valeur, et qui s’éloigne à grands pas de la high fantasy.
Ayant
elle-même grandi en Alaska, Megan Lindholm/Robin Hobb sait mieux que personne
évoquer les grands espaces sauvages de cet État, sa faune et sa flore d’une
richesse souvent intimidante. On pourrait soulever un message écologique dans Le Dieu dans l’ombre (et cela bien avant
le battage médiatique qui est aujourd’hui fait à ce sujet), mais ce serait
réducteur. L’écrivaine nous livre ici sa propre vision de la place de l’homme
dans le monde, qui n’est qu’une créature parmi tant d’autres, ni supérieure ni
inférieure. Elle nous fait partager son émerveillement et son respect pour
toutes les formes de vie quelles qu’elles soient, sans sensiblerie excessive :
l’homme est un prédateur naturel, dont la survie passe aussi par sa
consommation de viande.
Le
sens du devoir est un autre thème fort du livre. Arrachée à son territoire, jetée
dans la famille de son époux où elle est dépréciée, moquée, conspuée, la
narratrice se sent néanmoins obligée de rester pour soutenir son mari et
sauvegarder l’unité de sa famille. Dans l’espoir de préserver son fils, que ses
beaux-parents tentent de retourner contre elle, Evelyn courbe l’échine. Elle
est sans cesse tiraillée entre ses responsabilités d’adulte et son désir de
rester elle-même. De vivre pleinement sa vie telle qu’elle l’entend, sans avoir
à se camoufler derrière un comportement de façade, celui que tous veulent lui
voir adopter.
Écrit
à la première personne, le récit d’Evelyn nous donne accès à la complexité
psychologique de cette femme unique qui a bien du mal à trouver sa place dans
la société humaine. N’y parvenant pas vraiment, elle se reporte sur le monde
sylvestre qui l’acceptait sans condition lorsqu’elle était enfant. Mais son
statut d’humaine lui rappelle qu’elle ne fait pas totalement partie de cet
univers, et elle se retrouve seule une fois de plus.
Comme
souvent dans les romans de Megan Lindholm, et de son alter ego Robin Hobb, la
fin est douce-amère. Ne sommes-nous pas toujours seul, quoi qu’il arrive ?
Mais l’espoir subsiste et, à défaut de bonheur, au moins pouvons-nous trouver
dans les activités du quotidien la satisfaction d’avoir fait ce qui devait être
fait.
En conclusion, Le Dieu dans l’ombre dynamite le conformisme, le politiquement correct à l’œuvre dans nos sociétés. Certains passages pourront paraître crus, mais ils ne sont jamais gratuits. Les axes de réflexion sont très nombreux, trop pour qu’on puisse tous les aborder ici. Et c’est à mon sens l’une des plus grandes qualités de ce roman.